Elle est corrélée à leur puissance anesthésique, à la concentration plasmatique et à la vitesse de résorption.

L’allergie est exceptionnellement en cause.

Le respect de règles strictes d’utilisation doit éviter les accidents les plus graves.

Depuis 1884, les anesthésiques locaux connaissent une large utilisation.

Malgré leur rareté (1 pour 1.000 anesthésies environ), les accidents généraux des anesthésiques locaux peuvent survenir au décours de toute utilisation, même en apparence anodine (infiltration sous-cutanée, pulvérisation, usage local).

La gravité potentielle de ces accidents, parfois mortels, justifie la connaissance de leurs mécanismes, de leurs aspects cliniques, de leur prévention et de leur traitement par tous les utilisateurs.

On distingue les accidents liés à la toxicité systémique des différents produits et les rarissimes accidents allergiques.

Les accidents liés à la technique elle-même dans le cadre de l’anesthésie locorégionale sont exclus.

La lidocaïne est le produit le plus utilisé en médecine praticienne, les autres anesthésiques étant le plus souvent réservés à l’usage des spécialistes.

1. Aspects cliniques et physiopathologiques :

La toxicité des anesthésiques locaux se manifeste habituellement par une atteinte du système nerveux central précédant l’atteinte cardio-circulatoire.

Cette chronologie classique a cependant été récemment mise en doute, les manifestations cardio-circulatoires pouvant survenir d’emblée avec certains agents comme la bupivacaïne.

1) Manifestations neurologiques :

La faible taille des molécules des anesthésiques locaux explique le franchissement de la barrière hémato-méningée.

Les manifestations observées sont bien corrélées aux taux sanguins d’anesthésiques locaux. On observe un effet triphasique de la lidocaïne, d’abord anticonvulsivante, puis stimulante, et enfin dépressive.

AU STADE DES PRODROMES, HYPERVENTILATION OU ANTICONVULSIVANTS PEUVENT EVITER L’AGGRAVATION.

La phase de stimulation est responsable des premiers signes de la neurotoxicité.

On observe généralement une sensation de malaise associée, de façon variable, à différents symptômes neuro-sensoriels tels que : somnolence, vertiges, logorrhée, désorientation, troubles visuels, acouphènes, goût métallique. Une sensation d’engourdissement péribuccal est assez caractéristique.

A des taux sanguins plus élevés, la somnolence s’accentue et on peut observer une dysarthrie, un nystagmus, des tremblements, des clonies des extrémités et de la face.

Ce stade correspond à des altérations de structures sous-corticales, comme en témoigne l’apparition de foyers épileptiques électriques au niveau de l’hippocampe et de l’amygdale.

A des taux sanguins d’environ 10 æg/ml apparaît une crise convulsive généralisée tonico-clonique. Souvent précédée des prodromes de la phase précédente, cette crise peut apparaître d’emblée avec les anesthésiques locaux les plus puissants (bupivacaïne, étidocaïne) ou lorsque l’utilisation de sédatifs en prémédication masque les signes d’alarme. A ce stade, la ventilation peut être compromise, entraînant rapidement des modifications gazométriques et acido-basiques (hypoxémie, acidose mixte) qui facilitent la toxicité cardio-vasculaire.

La crise convulsive est habituellement unique et cède rapidement, même en l’absence de traitement spécifique. L’hyperventilation en oxygène pur ou l’administration d’anticonvulsivants peuvent, au stade des prodromes, empêcher l’apparition des convulsions et des manifestations cardio-circulatoires.

Pour des surdosages massifs apparaît une dépression corticale et sous-corticale avec coma, hypoventilation, puis arrêt respiratoire souvent concomitant d’une atteinte circulatoire.

2) Manifestations cardio-circulatoires :

Les anesthésiques locaux exercent des effets toxiques directs sur le myocarde et les vaisseaux, et probablement indirectes par action sur le système nerveux central.

L’appareil cardio-vasculaire semble beaucoup plus résistant à l’action toxique des anesthésiques locaux que le système nerveux central.

Parmi les anesthésiques locaux, la bupivacaïne est réputée la plus cardio-toxique, responsable de troubles du rythme et de la conduction. La lidocaïne possède des propriétés anti-arythmiques utilisées dans le traitement des arythmies ventriculaires.

Le premier signe de toxicité cardio-vasculaire est une hypertension artérielle par chute du débit cardiaque, souvent modérée et transitoire. A des taux plasmatiques supérieurs apparaît un collapsus cardio-vasculaire profond et spontanément irréversible avec souvent bradycardie et troubles de la conduction.

Finalement, un arrêt cardio-circulatoire peut survenir à tout moment, parfois même d’emblée, comme cela a été décrit avec la bupivacaïne. La réanimation peut être particulièrement difficile. L’hypoxémie, l’hypercapnie et l’acidose, fréquentes au cours des convulsions, sont autant de facteurs favorisant la survenue d’un arrêt cardiaque.

3) Autres manifestations :

a) Méthémoglobinémie :

Elle peut apparaître après utilisation de benzocaïne ou de prilocaïne par le biais d’un métabolite, la o-toluidine, pour des doses supérieures à 8 æg/kg, avec une plus grande sensibilité du jeune enfant.

b) Manifestations allergiques aux anesthésiques locaux :

Elles sont exceptionnelles (moins de 1 % des réactions adverses aux anesthésiques locaux).

En réalité, seul un faible pourcentage est une allergie vraie avec réponse positive aux tests cutanés.

Le plus souvent, il s’agit d’erreurs diagnostiques : toxicité générale ou simples malaises vagaux à l’injection. Cependant, de réelles allergies peuvent exister, essentiellement avec les amino-esters, exceptionnellement avec les amino-amides (souvent en rapport avec une allergie au conservateur, le méthylparaben très répandu en médecine et cosmétologie).

Les manifestations cliniques sont celles de l’anaphylaxie avec toute la gamme de gravité, de la réaction cutanée au choc anaphylactique.

2. Mécanismes des accidents généraux :

Le blocage par les anesthésiques locaux de la conduction nerveuse, ou effet “stabilisant de membrane” par action au niveau des canaux sodiques, est susceptible de s’exercer sur toutes les membranes excitables (en particulier système nerveux central et cardio-vasculaire).

LES ACCIDENTS LES PLUS GRAVES SONT DUS A L’INJECTION INTRAVASCULAIRE : UN RESPECT STRICT DES REGLES D’INJECTION DOIT LES EVITER.

La toxicité des anesthésiques locaux est bien corrélée à leur puissance anesthésique intrinsèque.

Les deux autres déterminants essentiels de la toxicité sont : la concentration plasmatique maximale (Cp max) et le délai nécessaire à son obtention (Tmax) qui correspond à la vitesse de résorption.

En dehors de l’injection intravasculaire directe, la résorption de l’anesthésique local est principalement liée au flux sanguin dans la zone anesthésiée, maximale dans certaines régions (muqueuses ORL et urétrale) et en zone inflammatoire. Ce flux peut être modifié par l’adjonction d’adrénaline à la solution et par les conditions hémodynamiques générales. La densité lipidique de la région infiltrée influence également la résorption du fait de la lipophilie des anesthésiques locaux.   

Enfin, leur fixation sur les protéines plasmatiques (alpha-1-glycoprotéine et albumine) détermine la fraction libre active du produit et sa distribution.

Ainsi, de nombreux facteurs pharmacocinétiques et pharmacodynamiques peuvent influencer la toxicité systémique des anesthésiques locaux (encadré).

Facteurs pharmacocinétiques et pharmacodynamiques influençant la toxicité des anesthésiques locaux :

– puissance anesthésique intrinsèque,

– dose totale et concentration de l’anesthésique local,

– site d’injection : flux sanguin local et taux de lipides tissulaires,

– injections itératives : accumulation,

– adjonction d’adrénaline au 1/200.000,

– augmentation de la fraction libre des anesthésiques locaux : cirrhose, grossesse, hypoprotidémie, ictère, acidose, médicaments,

– facteurs liés au terrain : âge, grossesse, pathologie cardio-vasculaire (insuffisance cardiaque, troubles de la conduction),

– insuffisance rénale : cardiotoxicité de la bupivacaïne,

– épilepsie ?

– interactions médicamenteuses : benzodiazépines (augmentent la fraction libre), cimétidine, vérapamil, dantrolène, bêta-bloquants, isoniazide, chloramphénicol.

1) Surdosage absolu :

– Le mécanisme le plus fréquent des réactions toxiques est l’injection intravasculaire liée à une erreur technique ; c’est par ce mécanisme que surviennent les accidents les plus graves et les plus précoces (quelques secondes à quelques minutes).

Un respect strict des règles d’injection doit les éviter.

– L”overdose’ est l’injection d’une quantité supérieure aux doses toxiques en fonction du poids.

Le respect des doses maximales permet de prévenir ce type de surdosage.

2) Surdosage relatif :

Il s’agit d’accident survenant pour des doses injectées inférieures aux doses toxiques théoriques.

Le plus souvent, c’est par résorption excessive de l’anesthésique local que surviennent ces surdosages.

Certains facteurs peuvent influencer l’absorption ou l’élimination des agents.

C’est dans ce cadre que surviennent des accidents retardés par rapport à l’injection, ou lors de réinjection (cumulation).

La quantité d’anesthésique local varie considérablement d’un site à l’autre ; les sites les plus dangereux sont les muqueuses (trachéale et urétrale) et les régions cervico-faciales et intercostales.

Enfin, chez un petit nombre de sujets “hyperergiques”, des taux d’anesthésiques locaux normalement bien tolérés peuvent être à l’origine de manifestations toxiques, en l’absence de tout surdosage réel.

3) Allergie :

Elle est exceptionnellement en cause.

3. Prévention et traitement :

1) Prévention :

Certaines mesures devraient être systématiques au cours de toute anesthésie locale :

– connaissance d’un terrain ou d’une pathologie favorisant la toxicité des anesthésiques locaux,

– présence à proximité, d’un matériel de réanimation cardio-respiratoire permettant d’assurer les premiers gestes : source d’oxygène, ventilation contrôlée manuelle, perfusion, produits d’urgence : au minimum adrénaline, atropine, diazépam.

– respect des règles de sécurité lors de toute infiltration d’anesthésique local aussi “minime” soit-elle :

. test d’aspiration, répété lors des déplacements de l’aiguille,

. injection lente du produit (1 ml/5 s),

. surveillance clinique permanente du patient (contact verbal et recherche des signes d’alarme) au cours et au décours de l’injection,

. arrêt de toute injection au moindre signe anormal,

– respect des doses maximales en fonction du poids,

– d’autres mesures préventives concernent surtout l’utilisation des anesthésiques locaux lors de l’anesthésiologie (rôle de la prémédication par les benzodiazépines, utilisation d’adrénaline, dose test…)

2) Traitement des accidents :

La rapidité de mise en œuvre des mesures thérapeutiques permet d’éviter l’installation d’un cercle vicieux et l’auto-aggravation des lésions.

a) Traitement des signes d’alarme :

L’injection doit être immédiatement interrompue ; le patient est allongé et de l’oxygène est administré au masque tandis qu’on lui demande d’hyperventiler.

Ces mesures simples permettent le plus souvent d’enrayer l’évolution.

b) Traitement des convulsions :

Si les mesures précédentes n’ont pas empêché l’apparition de convulsions ou si elles surviennent brutalement, la priorité est alors d’assurer la liberté des voies aériennes et l’oxygénation afin d’éviter une hypoxémie et une acidose, dont nous avons vu le rôle aggravant.

La crise convulsive cède généralement spontanément et ne mérite pas de traitement spécifique.

Si elle persiste, l’utilisation d’un anticonvulsivant est justifiée (par exemple diazépam intraveineux). Le maintien de la liberté des voies aériennes est alors impératif, surtout si s’installe un coma avec apnée, ou un collapsus, nécessitant alors intubation et ventilation.

c) Traitement des manifestations cardio-vasculaires :

Une hypotension nécessite une oxygénothérapie au masque en décubitus dorsal, jambes relevées, et un remplissage vasculaire par des macromolécules (Plasmagel ®) si elle ne cède pas rapidement.

La persistance d’un collapsus nécessite un transport médicalisé (SAMU) en réanimation.

En cas d’arrêt cardio-circulatoire, la réanimation classique doit être entreprise (ventilation en oxygène pur, massage cardiaque externe, remplissage, adrénaline : bolus IV de 1 mg, renouvelables) en attendant le SAMU, et doit être prolongée.

Une bradycardie isolée peut répondre favorablement à l’atropine.

4. Conclusion :

La rareté des accidents généraux des anesthésiques locaux, compte tenu de leur utilisation très répandue, ne doit pas faire oublier leur gravité potentielle.

Leur ignorance et une prise en charge initiale défectueuse sont le plus souvent retrouvées comme facteurs de mauvais pronostic.

Une technique rigoureuse et une bonne connaissance de ces accidents, des mesures préventives et des thérapeutiques à mettre rapidement en route, par tous les praticiens utilisant des anesthésiques locaux, devraient permettre d’éviter la plupart des évolutions graves.

Conduite à tenir en cas d’accident systémique aux anesthésiques locaux :

 

 1) Symptômes d’alarme :

  – arrêter l’injection en cours,

  – mettre en décubitus dorsal,

  – oxygénation au masque,

  – hyperventilation volontaire.

 

 2) Crise convulsive unique :

  – liberté des voies aériennes +++,

  – ventilation et oxygénation au masque,

  – ± diazépam (Valium ®) IV lente : 0,1 à 0,2 mg/kg ou clonazépam (Rivotril ®) 1 mg.

  Hospitalisation en réanimation et transport médicalisé ++.

 

 3) Coma, état de mal convulsif, apnée :

  – ventilation et oxygénation au masque,

  – intubation trachéale,

  – diazépam si convulsions,

  – contrôle de la PA.

 

 4) Collapsus :

  – oxygénation, décubitus dorsal,

  – voie veineuse et remplissage vasculaire.

 

 5) Arrêt cardio-circulatoire :

  – ventilation en oxygène pur, intubation,

  – massage cardiaque externe,

  – remplissage,

  – traitement symptomatique (adrénaline, choc électrique externe, alcalinisation).

  Hospitalisation en réanimation et transport médicalisé ++.

Points clés

– Les accidents généraux des anesthésiques locaux se traduisent habituellement par des manifestations neurologiques (convulsions) et des troubles cardio-vasculaires (chute tensionnelle, collapsus ou, plus rarement arrêt cardiaque).

– Les mécanismes de ces accidents sont essentiellement le surdosage absolu et le surdosage relatif ; l’allergie vraie est exceptionnelle.

– Il est capital de prévenir ces accidents par une technique rigoureuse, de prévoir l’équipement minimal pour une réanimation cardio-respiratoire. Le traitement fait appel à l’oxygène, à la sédation des convulsions, à la réanimation cardio-respiratoire classique.

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