Le carcinome in situ du sein a été décrit en 1941 par Foote et Stewart. Depuis, les différents traitements proposés ont toujours été controversés.
Il y a actuellement un regain d’intérêt pour la question pour plusieurs raisons :
– la fréquence est en augmentation sensible depuis 1980, essentiellement à cause des campagnes de dépistage mammographique chez des femmes jeunes,
– l’histoire naturelle du carcinome in situ reste toujours mal connue : il est difficile d’affirmer avec certitude le diagnostic pour le pathologiste ; tous les cancers in situ n’évolueront pas vers un cancer invasif ; la lymphophylie de ces cancers in situ est faible mais certaine dans un petit nombre d’observations,
– les résultats de la mastectomie-curage pour le carcinome canalaire in situ sont excellents et s’accompagnent à 10 ans de moins de 5 % d’évolution secondaire. Depuis quelques années, des traitements conservateurs sont apparus. Les mastectomies partielles sont faites soit isolément, soit avec un curage axillaire. Elles sont suivies ou non d’irradiation.
1. Fréquence :
L’extension du dépistage mammographique s’est accompagnée d’une élévation très nette de la fréquence de ces carcinomes.
Les microcalcifications isolées correspondent à des cancers in situ dans 20 % des cas. On peut estimer actuellement que 60 % des carcinomes in situ diagnostiqués sont découverts exclusivement sur une mammographie de dépistage.
2. Histoire naturelle des carcinomes in situ :
1) Carcinome lobulaire in situ (CLIS) :
Il survient en général dans la période préménopausique. D’après la revue de la littérature, la moyenne d’âge, lors du diagnostic, est de 46 ans. Il s’agit d’un carcinome volontiers diffus dans le sein, puisque l’analyse de pièces de mastectomie après diagnostic par biopsie a montré des lésions résiduelles dans 45 à 69 % des cas.
La multicentricité (foyers disséminés dans d’autres quadrants) est estimée à 50 %. Des foyers d’invasion occulte sont retrouvés dans le sein après biopsie, dans 0 à 6 % des cas. La plupart des travaux récents reconnaissent que cette invasion occulte est en fait exceptionnelle.
L’évolution vers le cancer invasif, après biopsie, a été étudiée par différents travaux. Elle est estimée de façon variable selon les auteurs, dans 4 à 32 % des cas pour l’un ou l’autre sein avec un recul de 15 à 24 ans.
Le risque de cancer a été étudié pour le sein controlatéral. Il est multiplié par 6,5.
Quand un cancer survient, il ne s’agira pas toujours d’une forme lobulaire infiltrante. Celle-ci ne se rencontrera que dans 7 à 50 % des cas.
On peut donc considérer que le CLIS est plus un marqueur de risque de cancer qu’un état pré-cancéreux.
2) Carcinome canalaire in situ (CCIS) :
L’âge moyen lors du diagnostic est de 51 ans, un peu inférieur à la moyenne d’âge de survenue du carcinome infiltrant.
Le caractère in situ du carcinome est toujours très difficile à affirmer pour le pathologiste. Un bon repérage des foyers suspects et la lecture d’un nombre suffisant de recoupes permettront de ne pas méconnaître une invasion occulte.
L’invasion est cependant méconnue selon les auteurs dans 0 à 21 % des cas.
La difficulté d’interprétation est telle qu’il existe une variation dans le diagnostic selon le pathologiste. Pour les états pré-cancéreux et les carcinomes in situ du sein, la concordance entre les différents membres d’une équipe ne se rencontre que dans 75 % des cas.
La diffusion dans le sein du carcinome canalaire in situ varie selon la taille de celui-ci.
Il a été montré que pour des lésions de moins de 25 mm dans leur plus grand diamètre :
– on ne rencontrait jamais de foyer occulte d’invasion,
– les foyers multicentriques étaient présents dans seulement 13 % des cas,
– il n’y avait jamais d’envahissement ganglionnaire.
Si la lésion mesure plus de 25 mm, les foyers occultes d’invasion se rencontrent dans 46 % des cas, les foyers multicentriques dans 54 % et il existe une localisation au mamelon chez 25 % des patientes.
– Envahissement ganglionnaire axillaire :
D’après la littérature, cet envahissement ganglionnaire est signalé dans 3 % des observations.
On peut l’expliquer par l’existence de foyers occultes d’invasion. Cependant, dans de nombreuses observations, quelle que soit la technique anatomopathologique, cette invasion n’a pas pu être mise en évidence.
– Evolution après biopsie :
Il y a peu d’études. Elles sont toutes rétrospectives et sur des petites séries. La technique de biopsie n’est pas toujours précisée. Elle pourrait être de taille réduite.
Le risque de cancer invasif est élevé de 26 % à 10 ans. Le cancer invasif survient presque toujours au voisinage de la zone de tumorectomie. On peut donc conclure que l’évolution de ces carcinomes canalaires in situ est plus multifocale (dans le même quadrant) que multicentrique et que tous les carcinomes canalaires in situ ne deviendront pas invasifs. Le risque pour le sein controlatéral paraît faible, du même ordre qu’en cas de cancer invasif ; il a été estimé à 3,4 % à 9 ans.
3. Discussion :
Le traitement adapté des carcinomes in situ du sein nécessite une première exérèse-biopsie de bonne qualité.
Le repérage préopératoire doit être minutieux pour les formes infracliniques détectées uniquement sur la mammographie. Un opérateur habitué peut localiser le foyer par la lecture des clichés orthogonaux.
L’incision cutanée doit être située en regard du foyer suspect. Le plus souvent, elle est radiaire. Il faut éviter les incisions à visée cosmétique qui nécessitent une dissection tangentielle du tissu mammaire.
Si le foyer radiologiquement suspect est de petite taille ou profond dans le sein, la mise en place d’une aiguille harpon par le radiologue, quelques heures avant l’intervention, facilitera la recherche du foyer suspect.
La biopsie devra être prélevée avec une dissection menée jusqu’à l’aponévrose du pectoral si le foyer est profond. Les bords de la biopsie devront être particulièrement nets pour permettre un repérage topographique.
La pièce sera orientée pour le pathologiste en repérant par exemple l’extrémité mamelonnaire par un fil et la face profonde à l’encre.
Le contrôle radiologique peropératoire est indispensable pour les foyers de microcalcifications. Plusieurs appareils permettent d’effectuer ce type de radiographie à proximité d’un bloc opératoire. Si le foyer suspect n’a pas été enlevé, une recoupe doit être effectuée. Une mammographie post-opératoire paraît indispensable pour tous les opérateurs qui ne disposent pas de contrôle radiologique peropératoire.
Il ne faut pas demander d’examen extemporané devant un foyer de microcalcifications.
Au cas où l’examen extemporané d’une biopsie mammaire répond carcinome in situ, il faut reprendre la zone de tumorectomie pour pouvoir obtenir un examen des berges de résection et attendre le résultat des coupes après inclusion en paraffine pour décider du traitement complémentaire.
L’examen anatomopathologique doit être particulièrement minutieux dans ce type de lésions. La pièce doit être fixée dans du formol à 10 % sans acide acétique, puis découpée en tranches de 3 mm.
1) Traitement du carcinome lobulaire in situ :
Il apparaît que le carcinome lobulaire in situ est un simple “marqueur ” de risque de cancer infiltrant.
La mastectomie-curage uni- ou bilatérale est encore proposée par certains auteurs. Cette attitude ne paraît pas logique puisque l’absence d’envahissement ganglionnaire axillaire dans toutes les séries récentes montre que l’on peut se passer du curage axillaire. La mastectomie unilatérale n’est pas logique non plus puisque le risque est identique pour l’un ou l’autre sein.
La surveillance mammaire clinique et radiologique paraît l’attitude la plus adaptée.
La surveillance est par contre plus difficile à proposer lorsque les foyers de microcalcifications sont diffus dans les deux seins et que l’examen clinique montre des seins multi-nodulaires.
Dans ces cas, il existe une place pour la mastectomie sous-cutanée bilatérale avec reconstruction prothétique dans le même temps. En cas de carcinome lobulaire in situ, la conservation du mamelon est possible sous réserve d’un examen anatomopathologique du tissu rétro-aréolaire.
La mastectomie sous-cutanée ne dispensera pas d’une surveillance clinique ou radiologique ultérieure.
Certaines récidives ont été décrites au niveau du parenchyme mammaire conservé sous la peau.
2) Traitement du carcinome canalaire in situ :
La mastectomie avec curage axillaire reste le traitement de base pour beaucoup. Les résultats à long terme sont les mêmes dans toutes les séries. On admet que le taux de rechute après mastectomie varie entre 0 et 5 %. Ces rechutes correspondent à des récidives au niveau de la paroi ou du creux axillaire (même après curage). La mortalité par cancer du sein pour un carcinome canalaire in situ traité par mastectomie-curage varie entre 0 et 1,5 %.
Depuis une vingtaine d’années, des traitements conservateurs ont été proposés dans le carcinome canalaire in situ. Il apparaissait difficile d’imposer actuellement une mastectomie-curage à une patiente présentant un carcinome canalaire in situ et de proposer une tumorectomie-curage à une autre patiente présentant un carcinome infiltrant de 3 cm de diamètre.
De même, le curage axillaire commence à être discuté dans sa réalisation systématique.
Si l’on admet que l’envahissement ganglionnaire ne dépasse pas 3 %, le curage axillaire va être réalisé dans 97 % des cas inutilement et la morbidité de cette intervention n’est pas nulle (paresthésies, lymphœdème,…).
Pour Fisher, il faut faire d’autant plus un curage axillaire que l’on choisit un traitement conservateur. En effet, un ganglion envahi révélera un foyer d’invasion qui était passé inaperçu lors de l’analyse de la tumorectomie.
Le risque d’envahissement ganglionnaire est lié à la taille du carcinome in situ mais nous avons vu que la corrélation n’est pas obligatoire.
Il semble donc que le curage axillaire doive encore être proposé de façon presque systématique. On peut le discuter en cas de petit carcinome canalaire in situ de moins de 25 mm, si le foyer est unique, si la technique de biopsie et l’examen anatomopathologique sont fiables et s’il n’y a pas d’autre foyer suspect à la mammographie. Dans tous les autres cas, il devra être réalisé.
La mastectomie-curage paraît l’intervention adaptée au carcinome canalaire in situ étendu ou multifocal. La résection cutanée ne sera pas très large et une reconstruction dans le même temps peut être réalisée.
La mastectomie partielle peut être proposée aux autres carcinomes canalaires in situ. L’examen des berges de résection doit être effectué. Elle devra être complétée par une radiothérapie complémentaire.