1. Définition :
La maladie de Paget du mamelon est une variété rare de carcinome qui se manifeste par une plaque eczématiforme ou psoriasiforme du mamelon et de l’aréole.
Il s’agit d’une manifestation cutanée d’un adénocarcinome canalaire sous-jacent du sein.
Elle correspond en fait à l’envahissement de l’épiderme mamelonnaire par un carcinome canalaire in situ (CCIS).
C’est une pathologie rare, qui touche les femmes à partir de 40 ans.
Dans la plupart des cas, un cancer du sein sous-jacent est retrouvé, mais cette maladie peut parfois se développer d’elle-même.
En histologie, on note la présence de cellules pagétiques dans l’épiderme du mamelon (cellules de grande taille avec cytoplasme clair, gros noyau irrégulier hyperchromatique, siège de mitoses).
2 théories ont été développées à propos de l’histogénèse :
– la plus répandue est la théorie épidermotropique : c’est la migration de cellules de Paget provenant d’un carcinome mammaire sous-jacent.
– la seconde est la transformation maligne des kératinocytes mamelonnaires indépendante de toute pathologie mammaire sous-jacente.
Nb : La maladie de Paget du mamelon ne doit pas être confondue avec une maladie métabolique osseuse également appelée “maladie de Paget” et qui correspond à une atteinte osseuse avec augmentation de taille et déformation de certains os.
2. Epidémiologie :
– La maladie de Paget du mamelon est rare ; elle représente 1 à 3 % des tumeurs mammaires.
– Moyenne d’âge du diagnostic : 51-70 ans (extrêmes de 24 à 90 ans).
– Les patientes atteintes d’une maladie de Paget du mamelon isolée sont plus âgées que celles ayant un cancer mammaire associé.
– La maladie de Paget du mamelon est :
. isolée dans 1,5 à 13 % des cas,
. associée à un cancer de la glande mammaire dans 82 à 100 % des cas.
– Le cancer mammaire associé est dans la très grande majorité des cas, d’origine canalaire : 13 à 52 % des cas un carcinome in situ et 30 à 60 % des cas un carcinome invasif.
3. Symptômes :
Le diagnostic est tardif ; il est fait entre 6 et 12 mois après l’apparition des premiers symptômes.
Les manifestations les plus couramment observées comprennent :
– des démangeaisons ou des sensations de brûlure au niveau de la peau du mamelon,
– des rougeurs de l’aréole ou du mamelon,
– un aspect croûteux de la peau, pouvant entraîner des desquamations ou des écaillages,
– des saignements ou un écoulement inhabituel du mamelon,
– la détection d’une masse dans le sein, sous le mamelon ou à proximité de celui-ci,
– un mamelon présentant un aspect “inversé” (pointant vers l’intérieur) ou aplati.
En général, ces manifestations sont unilatérales et évoluent selon différentes phases :
– A un stade précoce : on observe un prurit suivi par l’apparition d’une plaque aréolo-mamelonnaire rouge et brillante.
– A un stade intermédiaire : le mamelon devient épaissi et rugueux, avec la présence de squames.
– A un stade avancé : plusieurs caractéristiques sont observées :
. croûte indurée aux limites nettes, une érosion, une ulcération suintante,
. une perte progressive du relief du mamelon,
. une extension lente mais progressive du mamelon vers l’aréole.
Il est à noter que des améliorations temporaires peuvent être constatées mais ne doivent pas écarter le diagnostic.
De plus, des formes pigmentées peuvent ressembler à un mélanome malin.
Parfois, une maladie de Paget vulvaire peut lui être associée.
4. Diagnostic :
Le diagnostic de la maladie de Paget du mamelon est difficile à poser, car les symptômes s’apparentent à ceux de l’eczéma. Un interrogatoire est alors précieux pour savoir s’il existe des antécédents familiaux de cancer du sein.
La rougeur, le suintement et l’aspect croûteux produisent un aspect proche de la dermatite ; mais il convient de suspecter un carcinome parce que la lésion est fortement margée, unilatérale, et ne répond pas au traitement topique.
La palpation des seins est importante pour permettre la mise en évidence d’une éventuelle masse associée.
En cas de persistance des lésions cutanées et de leur évolution, une échographie ou une mammographie seront réalisées.
Le diagnostic est fait par grattage cytologique du mamelon ou biopsie de la peau du mamelon (biopsie aréolomamelonnaire (“punch”)).
5. Diagnostic différentiel :
1) Adénome érosif du mamelon (AEM) :
Cette tumeur bénigne, développée aux dépens des canaux galactophores du mamelon, aussi appelée papillomatose floride des canaux mamelonnaires, adénomatose papillaire superficielle ou papillomatose ductale sous-aréolaire, est le principal diagnostic différentiel de la maladie de Paget.
– Définition : Prolifération bénigne mixte adénomateuse et papillaire dans un sinus lactifère du mamelon. Il est bien circonscrit, non encapsulé, mesure entre 5 et 20 mm.
– Epidémiologie : 15 % des tumeurs du mamelon.
Il survient chez la femme (97 % des cas) avant l’âge de la ménopause. L’affection a aussi été décrite chez l’enfant et chez l’homme.
– Clinique :
Tuméfaction unilatérale du mamelon qui est épaissi et induré, ulcération bien limitée, suintement voire écoulement sanglant (60 %), parfois nodule palpable sous le mamelon.
Les cas bilatéraux sont exceptionnels.
L’évolution se fait sur des mois, voire des années, parfois émaillée de complications infectieuses locorégionales (abcès du sein, adénopathies).
– Traitement :
Le risque de carcinome mammaire ne semble pas être augmenté.
L’AEM relève d’un traitement conservateur avec exérèse complète de la lésion par chirurgie classique ou micrographique, voire cryothérapie au spray. Le pronostic est excellent mais des récidives sont possibles en cas d’exérèse incomplète.
L’allaitement est ensuite déconseillé en raison du risque d’engorgement.
2) Eczéma du mamelon :
L’eczéma de la région aréolo-mamelonnaire est surtout lié à l’atopie.
L’atteinte est généralement bilatérale, très prurigineuse, sans déformation du mamelon. Les lésions sont mal limitées avec des contours émiettés, sans croûte et sans véritable ulcération, d’évolution relativement rapide contrairement à la maladie de Paget.
L’évolution se fait par poussées entrecoupées de rémissions. Parfois, les lésions sont chroniques et lichénifiées.
D’autres localisations sont associées, notamment dans les plis.
Le traitement repose sur la corticothérapie locale intermittente, qui doit faire rapidement régresser les symptômes.
Devant une atteinte unilatérale et chronique, une maladie de Paget doit être impérativement éliminée par une biopsie.
3) Extension cutanée d’un adénocarcinome mammaire invasif :
Environ 8 % des cancers du sein se développent dans la région centrale du sein.
Cliniquement, le stade d’ulcération est toujours précédé par une rétraction et/ou fixité mamelonnaire alors que la maladie de Paget n’entraîne ni fixité ni rétraction mamelonnaire.
L’extension cutanée témoigne d’un stade avancé de la tumeur mammaire.
4) Autres diagnostics différentiels (plus rares) :
– Affections tumorales malignes : épithélioma basocellulaire, mélanome, maladie de Bowen, carcinome spinocellulaire, leiomyosarcome.
– Affections tumorales bénignes : Tumeur syringomateuse du mamelon, lymphocytome cutané bénin, neurofibrome, Leiomyome solitaire du mamelon.
– Dermatoses spécifiques de la plaque aréolo-mamelonnaire : Hyperkératose névoïde du mamelon, maladie de Fox-Fordyce, ectasie galactophorique.
– Dermatoses non spécifiques de la plaque aréolo-mamelonnaire : Erosion d’origine mécanique, hyperkératose secondaire, hidrosadénite aréolaire, dermatoses infectieuses (Verrues vulgaires, condylomes, molluscum contagiosum, gale, tuberculose, surinfection mamelonnaire candidosique ou staphylococcique lors de l’allaitement, herpès, chancre de syphilis).
6. Traitement de la maladie de Paget :
Le traitement de la maladie de Paget du mamelon dépend notamment de l’association ou non à un cancer sous-jacent et de l’avancement de la tumeur.
En général, une ablation partielle ou plus souvent totale du sein est nécessaire.
Elle sera fréquemment associée à un curage axillaire afin d’éviter toute propagation des cellules cancéreuses.
Une radiothérapie ou une chimiothérapie feront parfois suite à cette intervention chirurgicale.
En pratique :
a) Avec nodule palpable au niveau du sein ou opacité infraclinique en mammographie :
– mastectomie totale d’emblée avec curage axillaire.
b) Sans nodule palpable au niveau du sein, avec mammographie normale :
– résection de la plaque aréolo-mamelonnaire et du tissu rétro-aréolaire, avec curage axillaire,
– suivi de radiothérapie du sein restant.
c) Si malade inopérable, en raison de son état général :
– radiothérapie exclusive sur le sein et les aires ganglionnaires satellites.
7. Conclusion :
Les tumeurs de l’aréole et du mamelon sont rares.
Toute lésion unilatérale persistante doit attirer l’attention et faire pratiquer un grattage cytologique du mamelon à la recherche d’une maladie de Paget.
La maladie de Paget du mamelon est une variante rare du CCIS.
Elle est associée à un adénocarcinome mammaire sous-jacent dans plus de 80 % des cas. Sa recherche doit être systématique en imagerie.
Il est recommandé de réaliser une IRM mammaire avant d’envisager une chirurgie conservatrice, afin de dépister un carcinome occulte ainsi qu’une multifocalité ou une multicentricité.
L’adénomatose érosive du mamelon est bénigne mais peut simuler une maladie de Paget purement mamelonnaire.
Plus rarement, le carcinome basocellulaire pagétoïde, la maladie de Bowen, le mélanome (pour les maladies de Paget pigmentées) peuvent être difficiles à distinguer cliniquement et partagent avec la maladie de Paget le caractère unilatéral et la chronicité de l’évolution. La biopsie permet d’en faire le diagnostic mais il faut préférer l’exérèse chirurgicale en cas de suspicion de mélanome.
L’extension cutanée d’un carcinome mammaire est rare et doit être suspectée en cas de rétraction / fixité mamelonnaire.
L’eczéma est différent par la bilatéralité de ses lésions, l’absence de déformation du mamelon, l’évolution par poussées et son caractère régressif sous corticothérapie locale.
Points clés
La maladie de Paget du sein est une dermatose croûteuse du mamelon, donnant un aspect eczématiforme suintant. On la considère comme une métastase cutanée d’un cancer du sein sous-jacent, qu’il faut chercher et traiter.
– Il s’agit d’une lésion unilatérale + +.
– Initialement, petite “croûtelle”, parfois écoulement séreux ou séro-sanglant, prenant secondairement un aspect eczématiforme. Plus tard, la lésion devient bien limitée, polycyclique, couvrant progressivement mamelon et peau avoisinante, elle saigne assez facilement.
– Une atteinte galactophorique (de règle) doit être systématiquement recherchée par mammographie.
– Dans tous les cas, il s’agit d’une “lésion cancéreuse” à la fois superficielle et profonde, nécessitant une biopsie de l’érosion mamelonnaire ++ afin d’éliminer une papillomatose bénigne (surtout chez la femme jeune), et pour le principe, un eczéma du mamelon, mais qui est le plus souvent bilatéral et régressif sous traitement.