Le cancer du sein est une tumeur hormonodépendante, c’est-à-dire que son rythme de croissance peut être stimulé par les estrogènes (notamment le 17ß-estradiol) et à l’inverse ralentie par suppression des estrogènes par un moyen physique ou pharmacologique.
La présence des récepteurs d’estradiol (RE) et de progestérone (RP) à la surface des cellules tumorales est un critère essentiel d’hormonodépendance.
L’objectif premier de l’hormonothérapie est de suspendre définitivement ou temporairement l’action des estrogènes sur la cellule tumorale.
Bien que l’hormonothérapie des cancers du sein ait été le premier traitement général utilisé, elle reste en plein développement grâce à l’acquisition de nouvelles molécules peu toxiques et grâce aux techniques de prédiction de la réponse qui permettent de sélectionner les patientes le plus susceptibles d’en tirer bénéfice.
L’hormonothérapie repose donc sur l’hormonosensibilité de 80 % des tumeurs du sein, d’autant plus nettes que la femme est ménopausée et que la tumeur comporte des récepteurs aux œstrogènes (60 à 70 % des cas) et à la progestérone (50 à 60 % des cas).
On distingue deux types d’hormonothérapie :
1) Les traitements médicamenteux :
Ils agissent par voie générale, sur toutes les cellules sensibles aux hormones : on parle de traitement systémique ;
2) Les traitements non médicamenteux :
Ils consistent à stopper la production d’œstrogènes par les ovaires en les retirant par voie chirurgicale (ovariectomie) ou en les irradiant (radiothérapie).
Par ailleurs, lorsqu’une chimiothérapie et/ou une radiothérapie sont prescrites, l’hormonothérapie est en général commencée après ces traitements.
L’hormonothérapie des cancers du sein date de 1896, lorsque Beatson propose l’ovariectomie pour traiter les femmes présentant un cancer du sein métastatique. Devant des résultats encourageants, de nombreuses autres manipulations hormonales ont été imaginées puis essayées. Grâce à une meilleure connaissance des mécanismes de croissance tumorale et à la découverte des récepteurs hormonaux stéroïdiens dans les années 1960, les moyens et les indications de l’hormonothérapie se sont affinés. Plusieurs types de traitements sont maintenant proposés : les uns suppriment de l’organisme les hormones qui peuvent faciliter la croissance tumorale (estrogènes) : ovariectomie, surrénalectomie ; d’autres, en inhibant les sécrétions ovariennes ou surrénaliennes, donnent le même résultat : inhibiteurs de l’aromatisation. D’autres enfin s’opposent directement à l’action des estrogènes par compétition au niveau de la cellule tumorale : estrogènes et anti-estrogènes, progestatifs, androgènes.
Nb : L’hormonothérapie peut être proposée dans 3 situations :
– situation adjuvante,
– situation métastatique,
– traitement de première intention chez la femme âgée.
1. Hormonothérapies soustractives :
1) Castration :
– Premier traitement général des cancers du sein métastatique, la castration a d’abord été réalisée chirurgicalement chez la femme non ménopausée (ovariectomie) : elle soustrait 80 % des estrogènes circulants ; l’effet est immédiat.
On peut aussi avoir recours à l’ovariectomie percœlioscopique.
La castration n’est plus proposée que pour les formes en poussée évolutive non opérables d’emblée ou les formes métastatiques, ou chez les patientes présentant une mutation génétique de type BRCA-1 et 2 ayant accompli leur désir de grossesse.
– L’irradiation ovarienne fut ensuite utilisée en France par de Courmelles dès 1922 : elle donne des taux de réponse identiques à l’ovariectomie mais avec un effet thérapeutique retardé de 6 à 8 semaines.
Elle est devenue exceptionnelle.
– Elle peut être médicale (castration temporaire) par injection mensuelle d’un analogue de la GnRH (leuproréline – Enantone LP ®, goséréline – Zoladex ®) associée à une hormonothérapie par des anti-estrogène et proposée chez la femme non ménopausée, sans que l’on sache si la suppression ovarienne transitoire est aussi efficace que la suppression définitive.
2) Surrénalectomie bilatérale :
Son objectif est la suppression de la sécrétion surrénalienne d’estrogènes, où l’estrone est synthétisée par aromatisation de l’androstènedione ; le taux de réponse est de 32 % chez la femme ménopausée.
Cette thérapeutique lourde et aux conséquences définitives est abandonnée depuis la découverte de l’aminoglutéthimide (Orimétène ®), qui réalise une véritable “surrénalectomie chimique” (mais lui aussi n’est plus utilisé actuellement !)
2. Hormonothérapies additives :
Elles ne sont plus toutes utilisées, du fait des inconvénients majeurs de certaines.
1) Anciennes hormonothérapies :
a) Estrogènes :
L’utilisation des estrogènes, à doses pharmacologiques, a permis d’obtenir chez la femme âgée de bons taux de réponse objective avec des durées habituellement équivalentes à celles observées avec les autres traitements. Mais leur toxicité, cardiovasculaire surtout, et le risque de stimulation tumorale les a fait remplacer par les anti-estrogènes. Un des avantages de ces produits est cependant la possibilité d’obtenir secondairement une réponse après arrêt d’une autre administration hormonale dans 10 à 30 % des cas.
b) Androgènes :
Fréquemment prescrits il y a quelques années (taux de réponse 21 %), les androgènes voient leurs indications reculer. En effet, leurs effets secondaires restent importants quels que soient les produits utilisés : nausées, vomissements, anorexie, raucité de la voix, hirsutisme, acné, prise de poids, perte ou exacerbation de la libido, toxicité hépatique… Leur intérêt est lié surtout à une action satisfaisante sur les douleurs osseuses, et plus relative sur l’hématopoïèse.
La testostérone intramusculaire et la fluoxymestrone per os ont été les plus utilisés.
Ils ne doivent de toute façon être utilisés qu’en dernier recours.
2) Hormonothérapies actuelles :
a) Anti-estrogènes :
Le tamoxifène (Nolvadex ®) est le classique chef de file ; il agit en se fixant aux récepteurs cytosoliques des estrogènes de la cellule tumorale ; il entre alors en compétition avec l’estradiol sur son récepteur, avec une fixation quatre fois plus rapide et une affinité cent fois supérieure, il réprime ainsi la transcription des gènes sous régulation estrogénique.
Le couple hormone-récepteur est alors introduit dans le noyau, se fixe sur un accepteur nucléaire.
L’effet anti-estrogène peut s’expliquer par plusieurs mécanismes : diminution du complexe hormone-accepteur intranucléaire, blocage de la régénération du récepteur cytosolique, blocage des cellules sensibles en phase de repos, blocage de la synthèse de protéines estrogéno-induites qui agiraient comme facteurs de croissance. Malgré cela, le tamoxifène garde des propriétés estrogéniques faibles en particulier au niveau utérin et vaginal.
Le taux de réponse est d’autant plus élevé que les patientes sont âgées, éloignées de leur ménopause, ont un intervalle libre prolongé (> 3 ans) entre le traitement de la tumeur primitive et la récidive, et ont des récepteurs des estrogènes et/ou de la progestérone, connus et positifs sur la tumeur primitive, ou mieux, sur la métastase.
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Le tamoxifène peut être prescrit à titre palliatif en cas de métastases osseuses, cutanées, pleurales, mais aussi à titre adjuvant.
– il est efficace lorsque les récepteurs hormonaux sont positifs pour les œstrogènes et la progestérone ou lorsqu’ils sont dissociés. Il est plus puissant après 50 ans chez les femmes ménopausées, mais est efficace aussi chez les patientes non ménopausées ;
– une dose quotidienne de 20 mg est suffisante ;
– la baisse du taux de récidives à 5 ans est de 10 %, et même de 30 % après 70 ans ;
– la baisse de la mortalité à 5 ans est de 20 % pour les femmes de plus de 50 ans, à 10 ans le gain est encore de 7 %. Après 70 ans, elle est de 25 % après 2 ans de traitement ;
– le tamoxifène réduit aussi le risque de récidive locale et le risque d’un second cancer controlatéral ;
– près de 40 % des métastases des parties molles (peau, ganglions) répondent à ce traitement et 30 % des métastases viscérales ;
– il est inutile de prescrire du tamoxifène si les récepteurs hormonaux sont négatifs ;
– la durée optimale du traitement paraît aujourd’hui de 5 ans ;
– en raison de son effet œstrogène-like, ce traitement augmente le risque d’accident thromboembolique veineux et de cancer de l’endomètre. Les métrorragies apparues sous traitement doivent être explorées.
b) Anti-aromatases (inhibiteurs de l’aromatisation) :
Ce sont des substances qui bloquent la transformation des androgènes en estrogènes ; ils s’opposent à l’action des enzymes qui interviennent dans la synthèse des estrogènes (et notamment la synthèse locale, dans le tissu graisseux péritumoral).
L’aminoglutéthimide (AMG) est le plus ancien ; il agit au niveau surrénalien mais aussi au niveau du tissu adipeux et de la tumeur mammaire. Ces deux tissus possèdent en effet les trois hydroxylases nécessaires au processus de l’aromatisation. Son action surrénalienne exige un traitement substitutif (et freinateur de la sécrétion d’ACTH endogène) par de l’hydrocortisone et parfois par des minéralocorticoïdes en cas d’insuffisance clinique en aldostérone (hypotension artérielle).
Il est actuellement abandonné.
Après l’aminogluthétimide, anti-aromatase de première génération, on voit apparaître actuellement des anti-aromatases de 2ème et 3ème génération, d’efficacité comparable mais de maniement plus simple en raison d’une spécificité plus grande.
Les anti-aromatases sont utilisés uniquement chez les femmes ménopausées.
Ils peuvent être utilisés en traitement adjuvant du cancer du sein :
– seuls pendant 5 ans ;
– ou pendant 2 ans, suivis par un traitement par tamoxifène (pour une durée totale de 5 ans).
On distingue 2 types :
– non stéroïdiens (Anastrozole : Arimidex ®, Létrozole : Fémara ®),
– ou stéroïdiens (Exemestane : Aromasine ®).
Ils bloquent la conversion des androgènes en œstrogènes et diminuent ainsi de plus de 80 à 90 % le taux d’œstrogènes circulants chez la femme ménopausée.
Les anti-aromatases utilisés d’abord en cas de métastases apparues ou rebelles au tamoxifène ont démontré leur efficacité en traitement adjuvant pour anastrazole et létrozole, pour lequel ils ont une AMM. Le taux de survie sans récidives et le taux de récidives passent de 20 à 15 %.
Le létrozole donné après 5 ans de tamoxifène, surtout chez les patientes ganglions positifs, prolonge la survie sans récidive.
Les anti-aromatases peuvent aussi être prescrites après 3 ans de tamoxifène en relais pour une durée de 3 à 7 ans. L’aromasine a l’AMM pour cela ; c’est plus efficace que le tamoxifène pendant 5 ans.
Les effets secondaires doivent être connus des patientes : douleurs ostéoarticulaires (30 % des cas), fractures par ostéoporose, accidents cardiovasculaires.
Le risque d’accidents thromboemboliques est plus faible que sous tamoxifène (1,8 % au lieu de 2,2 %).
* Fulvestrant (Faslodex ®) : en injection mensuelle, il peut être utilisé en deuxième ligne après échec du tamoxifène ou des anti-aromatases.
c) Analogues de la LH-RH :
Les analogues de la LH-RH suppriment la production des œstrogènes par les ovaires chez la femme non ménopausée.
Types d’hormonothérapie | Molécules | Nom commercial |
Anti-œstrogènes SERM | Tamoxifène Torémifène | Nolvadex ®, Tamoxifène ® Fareston ® |
Anti-œstrogènes SERD | Fulvestrant | Faslodex ® |
Anti-aromatases | Létrozole Anastrozole Exémestane | Femara ® Arimidex ® Aromasine ® |
Analogues de la LH-RH | Goséréline Leuproréline | Zoladex ® Enantone ® |
Médicaments utilisés (hormonothérapie) dans le cancer du sein |
Points clés : choix du type d'hormonothérapie :
De manière générale :
Chez la femme non ménopausée :
– Les anti-œstrogènes sont le plus souvent proposés comme premier traitement pour une durée de 5 ans.
– Les agonistes de la LH-RH sont envisageables au cas par cas, sur une durée de 3 à 5 ans ;
Chez la femme ménopausée :
– les anti-aromatases sont le plus souvent proposés comme premier traitement pour une durée de 5 ans ou pendant 2 ans, suivi par un traitement par tamoxifène (pour un total de 5 ans de thérapie hormonale).
– Les anti-oestrogènes peuvent être proposés pendant 2 à 3 ans, suivis d’un inhibiteur de l’aromatase (pour un total de 5 ans de thérapie hormonale) ou, seuls, pendant 5 ans.