1. Introduction :

Le choc hémorragique constitue une urgence vitale fréquente en obstétrique.

Il résulte d’une perte sanguine aiguë dépassant les mécanismes de compensation physiologiques, entraînant une hypovolémie sévère, une hypoperfusion tissulaire et un risque d’issue fatale maternelle et/ou fœtale.

Il représente l’une des principales causes de mortalité maternelle dans le monde, justifiant une prise en charge rapide, multidisciplinaire et protocolisée.

2. Physiopathologie :

La perte sanguine entraîne :

– une hypovolémie absolue, réduisant le retour veineux et le débit cardiaque,

– une hypoperfusion tissulaire, responsable d’hypoxie cellulaire, d’acidose lactique et de défaillance multiviscérale,

– une activation des mécanismes compensateurs (tachycardie, vasoconstriction périphérique), rapidement dépassés si l’hémorragie se poursuit.

Chez la femme enceinte, l’hypervolémie physiologique peut initialement masquer la gravité de la perte sanguine, ce qui retarde parfois le diagnostic.

3. Étiologies obstétricales majeures :

– Hémorragie du post-partum (HPP) : atonie utérine (cause la plus fréquente), rupture utérine, rétention placentaire, anomalies d’insertion placentaire (placenta prævia, accreta).

– Hémorragies du troisième trimestre : HRP, placenta prævia, rupture utérine.

– Hémorragies du premier trimestre : GEU rompue, fausse couche hémorragique, môle hydatiforme invasive.

– Hémorragies traumatiques (lésions cervicales, vaginales, périnéales).

4. Diagnostic du choc hémorragique :

1) Signes cliniques :

– Le diagnostic est avant tout clinique, reposant sur :

. Signes de choc : pâleur, sueurs, marbrures, soif intense, hypotension artérielle, extrémités froides, tachycardie, polypnée, agitation puis troubles de la conscience (obnubilation) à un stade avancé.

. Signes associés : saignements extériorisés, utérus flasque (atonie), douleur abdominale (GEU rompue, HRP).

– Chez la femme enceinte : l’hypotension artérielle est un signe tardif : la surveillance doit surtout s’appuyer sur la tachycardie, les signes cutanés et la tolérance neurologique.

2) Évaluation de la gravité :

Estimation de la perte sanguine (souvent sous-estimée cliniquement)

Surveillance des paramètres vitaux : fréquence cardiaque, pression artérielle, saturation en oxygène

Utilisation de scores de gravité (ex : score de choc obstétrical)

3) Examens complémentaires :

– Biologie urgente : NFS, hématocrite, plaquettes, bilan de coagulation, fibrinogène, groupe sanguin et RAI.

– Echographie : utile pour confirmer une rétention placentaire, une rupture utérine ou une GEU.

– Gaz du sang : évaluation de l’acidose lactique, reflet de l’hypoperfusion tissulaire.

5. Prise en charge initiale en urgence :

Appel à l’aide et organisation multidisciplinaire immédiate

Voies veineuses de gros calibre (au moins deux)

Oxygénothérapie à haut débit

Monitorage continu : tension artérielle, fréquence cardiaque, diurèse

Prélèvements sanguins pour bilan initial et transfusion

Mise en condition en salle de réanimation ou bloc opératoire selon gravité

6. Traitement préventif :

– Identification des facteurs de risque : antécédents d’HPP, troubles de la coagulation, anomalies placentaires.

– Préparation des équipes : protocoles institutionnels, check-lists, accès rapide au sang et produits dérivés.

– Exercices de simulation, audits cliniques réguliers.

7. Traitement du choc hémorragique :

1) Mesures de réanimation :

– Oxygénothérapie à haut débit.

– Remplissage vasculaire : cristalloïdes en première intention, colloïdes si besoin et en quantité limitée.

– Transfusion sanguine : concentrés de globules rouges (CGR) si perte importante, associés selon le contexte à plasma frais congelé (PFC) et plaquettes.

– Correction des troubles de la coagulation : fibrinogène, acide tranexamique (idéalement dans les 3 premières heures), complexes de facteurs si nécessaire.

– Médicaments vasoactifs : uniquement en cas de choc réfractaire après correction de l’hypovolémie.

2) Contrôle de la cause de l’hémorragie :

– Traitement médical : ocytociques (oxytocine, misoprostol), massage utérin.

– Méthodes mécaniques : tamponnement utérin (ballon de Bakri).

– Traitement chirurgical : ligature artérielle, embolisation radiologique, hystérectomie en dernier recours.

– Etiologies spécifiques :

. GEU rompue : salpingectomie ou chirurgie conservatrice,

. HRP massif : extraction fœtale en urgence, correction des troubles de la coagulation,

. Rétention placentaire : délivrance artificielle,

. Placenta prævia / accreta : césarienne programmée avec stratégie hémorragique anticipée.

8. Complications et pronostic :

– Complications immédiates : défaillance multiviscérale, coagulopathie de consommation (CIVD), choc irréversible, décès maternel.

– Complications secondaires : syndrome de Sheehan (nécrose hypophysaire), séquelles rénales, troubles psychologiques post-traumatiques.

– Pronostic : dépend de la rapidité et de la qualité de la prise en charge.

9. Conclusion :

Le choc hémorragique en obstétrique demeure une urgence vitale majeure nécessitant une prise en charge rapide, coordonnée et multidisciplinaire.

Son pronostic dépend de la rapidité du diagnostic, de la réanimation hémodynamique précoce et du contrôle étiologique.

La stratégie transfusionnelle actuelle, privilégiant l’utilisation des CGR associés au PFC et aux plaquettes selon des ratios adaptés, constitue une avancée majeure dans la réduction de la mortalité maternelle.

⚠️ Encadré : Stratégie transfusionnelle dans le choc hémorragique obstétrical

 

– Objectifs :

. Restaurer un transport efficace de l’oxygène aux tissus (apport d’hémoglobine via les CGR).

. Corriger précocement les troubles de la coagulation (via plasma frais congelé et plaquettes si nécessaire).

– Sang total vs culots globulaires :

. La transfusion de sang frais total, historiquement pratiquée (ex. hémopéritoine sur GEU rompue), n’est plus la norme (faible disponibilité, difficulté d’adaptation du volume et risque d’effets indésirables).

. La stratégie actuelle privilégie les CGR concentrés, mieux adaptés et plus sûrs.

– Principes actuels :

. Limiter l’usage excessif de cristalloïdes pour éviter la dilution et la coagulopathie.

. Recourir rapidement aux CGR en cas d’urgence vitale, y compris en utilisant du sang O négatif en attente du groupage.

. Associer plasma frais congelé dans un ratio proche de 1:1 ou 1:2 avec les CGR lors de transfusion massive.

. Ajuster le seuil transfusionnel (Hb cible entre 7 et 10 g/dL) selon la tolérance clinique et la situation obstétricale.

 

Conclusion :

La transfusion de sang frais total est désormais obsolète.

La stratégie transfusionnelle repose sur les CGR associés précocement au plasma et aux plaquettes, avec adaptation individualisée.

Cette approche améliore la survie maternelle tout en réduisant les complications transfusionnelles.

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