1. Définition :
La môle hydatiforme ou grossesse môlaire est une anomalie de l’œuf caractérisée par l’absence d’embryon, la dégénérescence kystique des villosités choriales et par une prolifération trophoblastique responsable d’une sécrétion excessive de gonadotrophines chorioniques.
Elle regroupe deux entités distinctes :
– la môle complète ou classique (la plus fréquente) : correspond à une dégénérescence multikystique du trophoblaste et une absence de tissu embryonnaire,
– la môle partielle ou embryonnée : associe du tissu trophoblastique hypertrophique et du tissu embryonnaire le plus souvent dans le cadre d’une triploïdie. Le diagnostic n’est souvent porté qu’au début du deuxième trimestre devant un retard de croissance précoce et/ou un syndrome polymalformatif associé à un placenta vacuolaire.
Elle constitue avec la môle invasive et le choriocarcinome un ensemble pathologique complexe : la maladie trophoblastique.
La symptomatologie clinique est dominée par des métrorragies et des vomissements gravidiques incoercibles.
Le dosage sanguin d’hCG retrouve des taux habituellement supérieurs à 500.000 UI/l.
Les complications, peu fréquentes mais graves, à type de prolifération trophoblastique persistante simple ou métastasée, de môle invasive dans le myomètre, ou de choriocarcinome, nécessitent la surveillance biologique de la décroissance du taux d’hCG jusqu’à négativation pour affirmer la guérison.
2. Etiopathogénie :
– Fréquence : elle varie considérablement selon les pays : 1/2.000 à 3.000 grossesses (Europe-USA).
– Facteurs prédisposants :
. âge : 2 extrémités de la période d’activité génitale,
. bas niveau socio-économique,
. consanguinité,
. antécédent de grossesse gémellaire bivitelline.
Quelques données épidémiologiques ont suggéré une étiologie infectieuse plus qu’une modification spontanée ou un facteur nutritionnel.
– Pathogénie :
. il existerait une perturbation de la défense immunologique contre le trophoblaste (NOVAK),
. la môle résulterait d’une insuffisance vasculaire du placenta secondaire à la mort du fœtus (HERTIG),
. l’anomalie trophoblastique est primitive et peut être considérée comme une hyperplasie, une dysplasie ou une néoplasie (PARK).
– Cytogénétique : dans la môle hydatiforme vraie, la formule chromosomique est normale diploïde.
3. ANA-PATH :
Le produit de conception est constitué uniquement par des villosités en transformation vésiculaire. Il n’y a ni cavité amniotique ni embryon.
– Macroscopie : l’aspect est typique, en frai de grenouille ou en grappe de raisin.
Les vésicules môlaires atteignent plusieurs millimètres à quelques centimètres de diamètre ; elles sont tendues, arrondies ou fusiformes, translucides ou blanchâtres.
La masse globale de la môle est toujours importante (≈ 200 cc).
Les ovaires sont volumineux, à surface bosselée par des follicules de 1 à plusieurs centimètres.
– Microscopie : hyperplasie focale du trophoblaste à la périphérie de villosités œdémateuses et avasculaires.
Diagnostic différentiel :
. Villosités sub-môlaires : les produits d’avortement du premier trimestre contiennent dans au moins 1/3 des cas des villosités hydropiques et apparemment avasculaires mais ne comportant pas d’hyperplasie trophoblastique. Celles-ci sont sans rapport avec la môle hydatiforme.
. Môle embryonnée : transformation vésiculaire partielle ou totale du placenta s’accompagnant d’un fœtus habituellement macéré et contenu dans une cavité amniotique de taille réduite.
On note l’absence d’hyperplasie trophoblastique. Caryotype : triploïdie (majorité des cas).
4. Etude clinique :
1) Signes fonctionnels :
– Les métrorragies sont pratiquement constantes (symptôme initial dans 80 % des cas).
Leur délai d’apparition est variable, tantôt précoce dès le 1er mois, tantôt tardif jusqu’au 4ème mois.
Généralement peu abondantes à type de pertes sépia, irrégulières, non amendées par le repos, d’abondance croissante jusqu’à l’expulsion de la môle.
Parfois très abondantes nécessitant une thérapeutique urgente.
– Douleurs abdomino-pelviennes à type de coliques expulsives, et ceci peu de temps avant l’expulsion de vésicules môlaires.
– Vomissements (1/3 des cas) : caractéristiques par leur résistance anormale à la thérapeutique.
2) Signes généraux :
– Anémie, dénutrition (liée aux vomissements), infection ovulaire (béance cervicale, insuffisance de vascularisation de la masse),
– Manifestations dysgravidiques (10 à 15 % des cas) : le trépied : œdème, HTA, albuminurie, peut être complet ou dissocié. Disparaissent sans séquelles après l’expulsion de la môle.
Les accidents paroxystiques à type d’eclampsie peuvent être observés.
3) Signes physiques :
– Le volume utérin est plus important que ne le voudrait l’âge gestationnel.
Il peut être conforme ou réduit en cas de môle peu active ou morte.
En fait, le volume utérin peut varier d’un jour à l’autre (utérus accordéon) sous l’effet de la constitution et de l’évacuation de collections sanguines dans l’utérus.
– La consistance de l’utérus est anormalement molle ; pas de balottement fœtal.
– Perception dans les culs de sac vaginaux de tuméfactions liées à la présence de kystes lutéiniques multiples (inconstants) : uni ou bilatéraux, de volume variable, rarement grévés de complications, régressant après évacuation de la môle.
5. Examens complémentaires :
1) Biologie : dosage des HCG
Examen capital pour différencier la môle hydatiforme d’une grossesse normale.
Le dosage quantitatif de l’HCG sur les urines ou le sérum doit être comparé aux taux obtenus au cours de la grossesse normale de même âge gestationnel par le même laboratoire et la même méthode.
Le pic normal d’élimination urinaire d’HCG entre la 60ème et le 80ème jour est généralement estimé à 100 à 400.000 UI/24 h. Rappelons d’autre part que :
. l’excrétion des HCG est augmentée en cas de grossesse multiple ou de toxémie gravidique,
. des taux normaux ou diminués peuvent correspondre à une môle inactive voire morte.
Sur le plan pronostique : aucune indication sur l’éventualité d’une évolution maligne ultérieure ne peut être déduite du taux de gonadotrophines.
2) Echographie :
2 temps : éliminer une grossesse normale, rechercher l’image typique :
– absence de structures ovulaires (significative à partir de la 12ème semaine pour la tête fœtale et la 15ème semaine pour le placenta),
– image typique de la môle : en flocons de neige ou en grappes de raisins.
Pour plus de détails : Cf chapitre spécial
3) Examens radiologiques (facultatifs) :
– ASP : opacité ovoïde plus grande que ne le laisse prévoir l’âge gestationnel sans image de squelette fœtal (normalement visible entre la 11ème et la 16ème semaine de grossesse).
– Hystérographie : image réticulée à mailles irrégulières sans image fœtale.
– Scintigraphie placentaire : hyperfixation du produit sans aire placentaire déterminée.
– Artériographie pelvienne : utérus hypervascularisé à contenu relativement avasculaire.
6. Formes cliniques :
– F. extra-utérine ou môle tubaire : éventualité rare de découverte histologique ; elle peut se compliquer d’un choriocarcinome tubaire.
– F. atrophique : forme d’involution marquée d’une symptomatologie atténuée, elle n’est reconnue habituellement que lors de l’expulsion.
– F. récidivante : les grossesses môlaires peuvent alterner avec des grossesses normales ou se succéder.
Le taux moyen de récurrence est de 1 à 2 %.
7. Conduite a tenir :
1) Avant et lors de l’expulsion de la môle :
– Il convient de hâter l’évacuation de l’utérus afin de prévenir la survenue de métastases ou l’effraction du myomètre.
– Dans la majorité des cas, l’ABRT est imminent ou en cours lorsque le diagnostic est porté.
– L’expulsion de la môle est toujours longue, parcellaire, hémorragique.
– Les modalités de l’évacuation dépendent des facteurs suivants :
. présence ou non d’une ébauche de travail,
. âge et parité,
. taille de l’utérus,
. importance du saignement.
a) Taille de l’utérus < à la taille d’une grossesse de 16 semaines :
– Curetage aspiratif pratiqué d’emblée sous perfusion d’ocytocine si le col est entrouvert.
Il peut toutefois être mis en défaut en cas de môle morte et incrustée.
– Autre modalité : prostaglandines.
b) Taille de l’utérus > à la taille d’une grossesse de 16 semaines :
– Le curetage aspiratif peut être tenté à condition de pouvoir réaliser sur le champ une hystérotomie en cas d’hémorragie grave.
– Quelque soit le procédé utilisé (curetage aspiratif ou hystérotomie), curetage complémentaire précautionneux à la grande curette mousse sous couvert d’une perfusion d’ocytocine (10 U/500 cc) coulant à débit rapide, et ceci pour éviter la persistance de vésicules résiduelles.
– S’il s’agit d’une patiente âgée, multipare ou ne désirant plus d’enfant : hystérectomie avec môle in situ. L’ovariectomie ne s’impose pas (régression spontanée des kystes).
c) Après l’intervention :
Surveillance stricte en milieu hospitalier avec correction de l’anémie par transfusion, contrôle de l’hémostase par utérotoniques (Méthergin ®) et antibiothérapie.
Dans ces conditions : la mortalité de la môle < 1 %.
2) Après expulsion môlaire :
a) Evolution favorable :
Elle représente l’éventualité la plus fréquente : l’état général s’améliore rapidement, les hémorragies cessent en 7 à 10 jours ; l’involution utérine s’effectue en 1 ou 2 semaines.
Les kystes ovariens disparaissent plus lentement.
Cependant, l’amélioration clinique et la reprise de cycles menstruels réguliers n’exclut pas la possibilité d’une persistance de tissu trophoblastique.
Biologiquement : la surveillance du déclin de l’élimination de l’HCG va seule permettre de contrôler la disparition du tissu trophoblastique.
En conséquence, il est impératif de :
● PRATIQUER un dosage de HCG toutes les semaines jusqu’à disparition des ß-HCG circulantes, puis contrôle bi-mensuel puis mensuel pendant 1 an après la disparition des ß-HCG.
Interprétation des résultats (plasmatiques) :
– taux ≥ 75 mUI/cc ⇒ présence certaine de HCG,
– taux < 10-15 mUI/cc ⇒ absence » » » » » ,
– 10-15 < taux ≤ 75 ⇒ doser les ß- HCG pour différencier une sécrétion élevée de LH d’une sécrétion résiduelle de HCG.
● PRATIQUER un examen gynécologique et une radio pulmonaire toutes les 2 semaines,
● INSTITUER pendant au moins 1 an une contraception orale par estroprogestatifs ou progestatifs afin :
– d’éviter une grossesse intercurrente posant de difficiles problèmes diagnostiques avec les récidives de maladie trophoblastique,
– de supprimer la sécrétion hypophysaire d’hormone gonadotrope.
Le diagnostic de rémission ne peut être posé que lorsque l’HCG à 3 dosages successifs se trouve dans les limites de la sécrétion hypophysaire ou < 25 mUI/ml de plasma sous contraception orale.
b) Evolution compliquée :
Elle représente moins du 1/3 de toutes les môles :
– cliniquement : elle sera suspectée sur la constatation d’une sub-involution utérine (sans complications infectieuses manifestes), de métrorragies ou d’aménorrhées persistantes,
– biologiquement : persistance d’un taux élevé ou la réascension du taux d’HCG,
– anatomiquement : il peut s’agir :
. d’un simple résidu molaire,
. d’une môle invasive,
. d’un choriocarcinome.