Le traitement locorégional du cancer du sein fait partie intégrale de la stratégie thérapeutique multidisciplinaire. Il associe la chirurgie à la radiothérapie et s’adresse aux cancers in situ et aux cancers invasifs dits “opérables”.
1. Traitement des états précancéreux :
En 1999, il est exceptionnel qu’après une biopsie mammaire donnant le diagnostic d’hyperplasie canalaire ou lobulaire atypique, une chirurgie radicale de la glande soit proposée (mastectomie sous-cutanée, mastectomie simple avec ou sans reconstruction immédiate). Cette chirurgie est en règle excessive, le potentiel des lésions atypiques étant mal connu ou insuffisant. En effet, la conservation de la plaque mamelonnaire impose la conservation d’un disque de glande mammaire. Les exceptionnelles indications retenues pour ces mastectomies prophylactiques sont les seins à très haut risque de dégénérescence clinique, anatomopathologique et radiologique. Enfin, ces interventions seront peut-être utiles dans les formes familiales de cancer du sein avec un risque génétique reconnu.
Chirurgie du cancer du sein :
Définition des termes (rappel)
– Mastectomie radicale (opération de Halsted) : ablation en monobloc du sein, de son enveloppe cutanée, des muscles pectoraux et des ganglions axillaires.
– Mastectomie radicale modifiée (opération de Patey / Madden) : ablation en monobloc du sein avec une partie de l’enveloppe cutanée et des ganglions axillaires. Conservation des muscles pectoraux.
– Mastectomie simple : ablation du sein sans curage axillaire.
– Mastectomie sous-cutanée : ablation de la glande mammaire en conservant la plaque aréolo-mamelonnaire et le sac cutané.
– Tumorectomie simple : exérèse de la tumeur sans marge de sécurité glandulaire.
– Tumorectomie large ou segmentectomie : exérèse de la tumeur avec une marge de sécurité glandulaire.
– Pyramidectomie : ablation d’une zone du sein centrée sur la tumeur et orientée vers le mamelon.
– Quadrantectomie : exérèse de la totalité d’un quadrant mammaire.
D’autres termes peuvent être observés dans la littérature, tels que “zonectomie” ou “mastectomie partielle” ; ils sont imprécis et n’apportent pas de notions intéressantes dans le domaine de la chirurgie carcinologique.
2. Traitement des cancers in situ :
Les cancers in situ représentent environ 10 à 15 % des cancers du sein traités actuellement (en France). Cela est dû à l’organisation de programmes de dépistage efficaces et au dépistage individuel des cancers du sein.
L’histoire naturelle des cancers canalaires (ductaux) in situ et celle des lobulaires sont différentes. Le cancer canalaire in situ est précurseur du cancer invasif alors que le cancer lobulaire in situ est un facteur de risque (comme la nulliparité par exemple). Leur traitement est donc différent.
1) Traitement des cancers lobulaires in situ :
Le plus souvent, le cancer lobulaire in situ est une découverte fortuite anatomopathologique après exérèse d’une lésion bénigne.
Actuellement, il n’y a pas d’évidence que le cancer lobulaire in situ soit un précurseur du cancer invasif. Il ne s’agit que d’un facteur de risque de cancer du sein qui peut d’ailleurs se développer sous forme lobulaire ou canalaire, dans le sein biopsié ou dans l’autre sein (plus de 80 % de ces femmes ne feront jamais de cancer invasif).
En attendant des marqueurs biologiques et génétiques qui détecteront les cancers lobulaires in situ à haut risque invasif, la majorité des équipes conseille une simple surveillance (examen clinique tous les 6 mois, mammographie annuelle).
L’indication de mastectomie sous-cutanée bilatérale prophylactique peut être posée chez les femmes ayant un risque familial réel.
2) Traitement des cancers canalaires (ductaux) in situ :
Dans les années 1960-1970, à la suite des travaux de G. Contesso, les cancers canalaires in situ étaient reconnus comme plurifocaux et très étendus et avaient une réputation de radiorésistance. Il s’agissait dans ces années, bien souvent, de découverte histologique sur des pièces de mastectomie pratiquée pour des tumeurs cliniquement décelables.
Ces caractères, diffus, multifocaux justifiaient alors la mastectomie, avec un taux de guérison avoisinant 100 %.
L’amélioration des techniques d’imagerie, la diffusion des campagnes de dépistage ont permis de détecter des cancers canalaires in situ infracliniques dont les caractéristiques anatomiques diffèrent des cas étudiés par G. Contesso. Les tumeurs sont de petite taille ; le caractère multicentrique et les micro-invasions sont devenus peu fréquents. Comme pour les cancers infiltrants, le traitement conservateur devient prépondérant pour ces cancers canalaires in situ.
Il faut souligner qu’il persiste des controverses en anatomopathologie dans le domaine des cancers canalaires in situ, ce qui complique la stratégie thérapeutique des chirurgiens.
L’excision seule, malgré des résections en zone saine, expose à un risque de rechute locale à 10 ans de 10 à 20 %. Cette rechute locale se fait soit sous forme in situ (50 % des cas), soit sous forme infiltrante (50 % des cas).
Après l’irradiation, le taux de rechute locale est inférieure à 10 % à 10 ans, c’est?à?dire comparable au taux de récidive locale des cancers infiltrants.
– En 1999, le traitement de choix des cancers canalaires in situ de 0,5 à 2,5 cm est l’excision de la tumeur en zone saine suivie de radiothérapie (50 Gy en 5 semaines, + 10 Gy supplémentaires au lit tumoral).
Nb : les tumeurs isolées (radiologiquement) pour lesquelles les berges de résection sont en zone saine, ne dépassant pas 5 mm de diamètre peuvent être traitées par excision seule.
– A l’opposé, le cancer ductal in situ de type comédocarcinome avec forte nécrose et à haut grade nucléaire est particulièrement agressif et expose à un fort risque de rechute locale. Le traitement peut rester conservateur (avec radiothérapie) à condition de s’être assuré du caractère en zone saine des tranches de section, sinon il devra être radical.
La mastectomie simple ou associée à une vérification axillaire basse est donc réservée aux cancers ductaux in situ multifocaux et multicentriques radiologiques ou anatomopathologiques ou aux tumeurs de plus de 2,5 cm de diamètre (fort risque de multicentricité). Dans ces cas, la reconstruction immédiate du sein est possible si la femme le souhaite.
3. Traitement des cancers invasifs “dit opérables” (T0, T1, T2, T3 – N0, N1 – M0) :
Ce traitement associe la chirurgie à la radiothérapie dans deux options thérapeutiques : la mastectomie radicale modifiée et le traitement conservateur. Le choix de la conservation ou non du sein repose sur des critères de sélection précis : cliniques, radiologiques et anatomopathologiques.
1) Arguments cliniques :
L’interrogatoire doit informer la femme des possibilités de conservation du sein ou non. Le chirurgien doit tenir compte des souhaits de la patiente. Actuellement, il peut être difficile de faire admettre la mastectomie à certaines femmes à cause des informations données par les médias. Le traitement conservateur à tout prix ne peut aboutir qu’à des résultats médiocres tant sur le plan du contrôle local que sur l’aspect cosmétique et fonctionnel du sein conservé.
Le rapport de la taille de la tumeur au volume du sein et la situation de la tumeur dans le sein sont essentiels.
En effet, après la résection tumorale en zone saine, la reconstruction d’un sein harmonieux doit être possible.
La reconstruction esthétique après exérèse des tumeurs des quadrants inférieurs peut être difficile. Il ne faut pas oublier que l’appréciation de la qualité esthétique du résultat diffère beaucoup du médecin à la patiente pour laquelle entrent en compte des caractères beaucoup plus subjectifs. C’est pourquoi, quand on peut supposer que le traitement conservateur ne permettra pas un résultat esthétique satisfaisant (alors que le contrôle local sera bon), il faut savoir expliquer à la patiente les impératifs chirurgicaux et tenir compte de son désir ou non de conservation.
En conclusion : si la chirurgie logique ne permet pas la reconstruction esthétique du sein, on peut opter pour une mastectomie avec reconstruction mammaire ultérieure, en tenant compte des souhaits de la patiente.
Le chirurgien qui fait un traitement conservateur doit connaître les bases de la chirurgie esthétique du sein.
Pour les seins de volume moyen, le diamètre tumoral maximal permettant un geste cosmétique correct est de 3 cm.
2) Arguments radiologiques :
Le traitement conservateur n’est adapté qu’aux tumeurs unifocales ou plus rarement lorsqu’il existe deux tumeurs contiguës dans le même quadrant. L’existence de microcalcifications suspectes à distance de la tumeur primitive ou allant vers la plaque aréolo-mamelonnaire impose le traitement radical.
3) Arguments anatomopathologiques :
La pièce d’exérèse est confiée à l’anatomopathologiste en entier non disséquée, orientée vers le mamelon après badigeonnage des berges avec de l’encre de Chine. Grâce à cette orientation, on peut apprécier de façon macroscopique puis microscopique la qualité de l’exérèse.
L’anatomopathologiste se charge des prélèvements pour l’étude des facteurs pronostiques biologiques (récepteurs hormonaux).
Si la résection passe en zone saine avec une marge de sécurité suffisante (cette marge n’a jamais été établie de façon précise : 10 mm, 5 mm, moins de 5 mm), le traitement conservateur est logique. Sinon des recoupes glandulaires sont nécessaires ou la mastectomie peut être décidée.
Dans tous les cas, avant l’intervention, la patiente doit être avertie de l’éventualité d’une mastectomie. Si celle-ci s’impose en cours d’intervention et que la femme n’a pas été avertie des possibilités de traitement radical, la mastectomie est réalisée dans un deuxième temps après un entretien avec la patiente.
Dans les rares cas où l’anatomopathologiste ne peut trancher entre lésion bénigne ou maligne ou entre cancer in situ et cancer invasif à l’examen extemporané, il faut reconstruire le sein et attendre les coupes en paraffine pour la décision finale.
Cinq essais randomisés, comparant une tumorectomie seule à une tumorectomie suivie d’irradiation ont démontré la nécessité d’irradier toute la glande mammaire et le lit tumoral après un geste conservateur.
4. Traitement des aires ganglionnaires :
Le but des évidements ganglionnaires est de contrôler la maladie régionale et d’établir de façon précise le stade de la maladie. La connaissance du nombre de ganglions axillaires envahis reste le facteur pronostique le plus puissant.
– La survie à 10 ans est de 75 % pour les pTN0, 55 % pour les pTN1 avec moins de 4 ganglions envahis ; 35 % pour les pTN1 avec 4 à 9 ganglions envahis et inférieure à 20 % pour les pTN1 avec plus de 9 ganglions envahis.
– Après un curage radical, le risque de rechute axillaire est inférieur à 2 % même en cas d’atteinte ganglionnaire et sans radiothérapie adjuvante.
Malgré ces points positifs, les évidements ganglionnaires sont controversés pour plusieurs raisons :
1. L’impact de l’évidement ganglionnaire sur la survie est difficile à mettre en évidence :
– les patientes pN1 meurent de métastase et non d’évolution régionale,
– dans l’étude de NSABP B04, à 10 ans, il n’y a aucune différence en termes de survie globale entre mastectomie radicale modifiée, mastectomie simple suivie de radiothérapie des aires ganglionnaires et mastectomie simple et curage ultérieur en cas de nécessité.
2. Le curage ganglionnaire est responsable de morbidité. Si le taux de gros bras invalidants est maintenant inférieur à 3 % grâce à une bonne technique chirurgicale et à l’absence d’irradiation axillaire, il est responsable de troubles de la statique de l’épaule à long terme (raideur, douleur) dans 15 % des cas environ et de dysesthésies.
3. Pour les tumeurs inférieures à 10 mm, le risque ganglionnaire est faible (8 à 18 %) et le curage peut paraître excessif si cette tumeur a des facteurs biologiques de bon pronostic.
Ces controverses ont abouti à une alternative qui est en voie d’évaluation : la recherche du ganglion sentinelle, c’est-à-dire du premier ganglion qui risque d’être envahi par la tumeur. Le risque que ce ganglion soit court-circuité par les cellules cancéreuses serait inférieur à 20 %. Si ce ganglion est négatif, on se contentera de ce prélèvement. S’il est positif, un curage classique est nécessaire.
Jusqu’à preuve du contraire, le curage ganglionnaire axillaire des deux premiers niveaux de l’aisselle s’impose dans la stratégie thérapeutique actuelle du cancer du sein.
5. Traitement locorégional après chimiothérapie néo-adjuvante :
– Pour les tumeurs de gros volume (supérieures à 3 cm de diamètre), ou en croissance rapide, inflammatoires ou non, le problème essentiel est le risque métastatique.
Si on pense que le traitement chirurgical primaire n’est pas souhaitable, la chimiothérapie préopératoire a deux buts :
. traiter les éventuelles micrométastases avant l’exérèse de la tumeur primitive qui pourrait stimuler ces métastases,
. et faire fondre la tumeur locale ou entraîner la disparition de la poussée évolutive.
Aussi, la tumeur devient accessible au traitement locorégional. Ce deuxième point intéresse particulièrement le chirurgien et le radiothérapeute car la chimiothérapie préopératoire entraîne dans 70 à 90 % des cas une régression tumorale permettant un traitement conservateur (fonte tumorale cliniquement complète dans 30 à 35 % des cas et anatomopathologique complète dans 15-20 %). Il est conseillé de réséquer le segment où siège la tumeur avant la radiothérapie. Cela n’est pas sans problème pour les chirurgiens : faut-il passer au large de la tumeur résiduelle, et quel volume mammaire faut-il enlever quand il n’y a plus de tumeur clinique et radiologique ?
Le traitement conservateur après chimiothérapie néo-adjuvante pour les cancers dits opérables de moins de 3 cm de diamètre reste actuellement du domaine de la recherche clinique.
– Pour les cancers en poussée évolutive ou inflammatoire (T4d) dit “non opérables”, la chimiothérapie néo-adjuvante est fondamentale car elle rend opérable plus de 80 % des malades (chirurgie radicale ou conservatrice). La radiothérapie complète le contrôle locorégional de ces cancers de très haut risque métastatique.
6. Traitement des cancers localement évolués (T4a, b, c) et des cancers négligés sans métastase (M0) :
– Certains cancers ont une évolution locale longue avec extension à la peau et/ou à la paroi thoracique. Il s’agit en général des cancers de la femme âgée. Ils sont le plus souvent hormonodépendants. Certaines formes squirreuses rétractent le sein sur lui-même pendant plus de 20 ans sans donner de métastase. Pour ces formes-là, il n’est pas évident que la chirurgie et la radiothérapie soient nécessaires.
– En revanche, pour les autres tumeurs localement avancées N0 N1 M0 (après chimiothérapie néo-adjuvante si l’état général de la patiente le permet), la mastectomie voire l’opération de Halsted sont indiquées. La perte de substance préthoracique peut être importante et imposer une reconstruction par lambeau cutanéo-musculaire, en général de grand dorsal. La radiothérapie adjuvante vient compléter le contrôle locorégional.
La radiothérapie préopératoire peut être conseillée si la tumeur s’accompagne d’œdème péritumoral faisant redouter une poussée évolutive dans cette tumeur évoluée. L’intervention est alors faite après 50 Gy.
7. Chirurgie des rechutes locorégionales :
– La rechute locale préthoracique après mastectomie est traitée par résection chirurgicale associée soit à une irradiation externe par électrons soit par curiethérapie à l’iridium 192.
– Les rechutes après traitement conservateur doivent être traitées par mastectomie simple associée ou non à un lambeau cutanéomusculaire de grand dorsal ou de grand droit selon la qualité des tissus préthoraciques.
“Les retumorectomies” exposent la malade à des résultats cosmétiques médiocres et à de nouvelles rechutes.
Néanmoins, dans les rares cas de récidives tardives, de petite taille, à distance du lit tumoral initial, elles peuvent être discutées.
Les rechutes ganglionnaires axillaires sont graves. Elles précèdent en général l’évolution métastatique.
L’exérèse de la récidive ganglionnaire est le plus souvent suivie de radiothérapie axillaire complémentaire malgré le risque de lymphœdème du membre supérieur et par une chimiothérapie et/ou une hormonothérapie adjuvante.
8. Conclusion :
Le traitement locorégional soit conservateur soit radical reste le traitement de première ligne de tous les cancers du sein dit “opérables” ou après traitement néo-adjuvant (chimiothérapie et/ou radiothérapie) pour les tumeurs de gros volume ou en poussée évolutive.