Le traitement locorégional du cancer du sein associe la chirurgie à la radiothérapie et s’adresse aux cancers invasifs dits « opérables ».
1. Traitement des cancers invasifs « opérables » (T0, T1, T2, T3 – N0, N1 – M0) :
Le traitement des cancers du sein invasifs dits « opérables » (stades T0-T3, N0-N1, M0) combine chirurgie et radiothérapie, avec deux options principales :
– mastectomie radicale modifiée (ablation totale du sein),
– traitement conservateur (ablation de la tumeur avec conservation du sein).
Le choix entre traitement conservateur et traitement radical repose sur des critères de sélection précis : cliniques, radiologiques et anatomopathologiques.
1) Arguments cliniques :
– Information et consentement : la patiente doit être informée des possibilités de conservation ou non du sein.
– Prise en compte du souhait de la patiente.
– Limites du traitement conservateur : un traitement conservateur à tout prix peut donner de mauvais résultats sur le contrôle local et l’aspect esthétique.
– Rapport taille tumeur/volume du sein : essentiel pour garantir un résultat esthétique harmonieux après résection.
– Localisation de la tumeur : les tumeurs des quadrants inférieurs sont plus difficiles à reconstruire esthétiquement.
– Évaluation esthétique subjective : l’appréciation diffère entre médecin et patiente ; il faut expliquer clairement les enjeux si le résultat esthétique risque d’être insatisfaisant.
– Volume tumoral maximal : pour un sein de volume moyen, la tumeur ne doit pas dépasser 3 cm pour permettre une chirurgie conservatrice satisfaisante.
2) Arguments radiologiques :
– Traitement conservateur : réservé aux tumeurs unifocales ou à deux tumeurs contiguës dans le même quadrant.
– Contre-indications : la présence de microcalcifications suspectes à distance (de la tumeur primitive) ou proches de la plaque aréolo-mamelonnaire impose la mastectomie.
3) Arguments anatomopathologiques :
– Analyse de la pièce opératoire : orientée vers le mamelon après badigeonnage des berges avec de l’encre de Chine pour vérifier la qualité de la résection (marges saines).
– Marges de sécurité : si elles sont suffisantes, le traitement conservateur est possible ; sinon, reprise chirurgicale ou mastectomie.
– Facteurs pronostiques : recherche de récepteurs hormonaux.
– Information préopératoire : la patiente doit être avertie de la possibilité d’une mastectomie en cas de découverte peropératoire.
2. Traitement des aires ganglionnaires :
1) Objectifs et importance pronostique :
Le curage axillaire vise à :
– Contrôler la maladie régionale.
– Établir un stade précis de la maladie.
Le nombre de ganglions envahis est le facteur pronostique le plus puissant : survie à 10 ans :
75 % si pTN0 (aucun ganglion atteint),
55 % si pTN1 (< 4 ganglions),
35 % si pTN1 (4-9 ganglions),
< 20 % si pTN1 (> 9 ganglions).
2) Avantages du curage axillaire :
Risque de rechute axillaire < 2 % après curage radical, même sans radiothérapie adjuvante.
3) Controverses et limites :
– Impact du curage sur la survie : difficile à prouver, car les décès sont liés aux métastases, non à l’évolution régionale.
– Morbidité :
Lymphœdème grave (« gros bras ») : actuellement < 3 % avec techniques modernes et absence d’irradiation axillaire.
Troubles de la statique de l’épaule (raideur, douleur) : ≈ 15 %.
Dysesthésies (troubles sensitifs).
– Sur-traitement pour les tumeurs < 10 mm :
Risque ganglionnaire faible (8-18 %), surtout si bon pronostic biologique.
4) Alternative : le ganglion sentinelle :
– Principe :
Injection d’un colorant radioactif (la veille de l’intervention) pour identifier le premier ganglion drainant la tumeur.
Si le ganglion sentinelle est négatif → Pas de curage complémentaire.
Si positif → Curage axillaire nécessaire.
– Avantages :
Réduction de la morbidité (lymphœdème, complications).
Alternative validée pour les tumeurs T1-T2.
– Limites :
Risque de faux négatifs (~ 20 % si saut ganglionnaire).
Non recommandé pour tumeurs > 5 cm, inflammatoires ou après chimiothérapie néoadjuvante sans validation.
5) Recommandations actuelles :
Le curage axillaire des niveaux I-II reste la référence en cas d’atteinte ganglionnaire prouvée.
Le ganglion sentinelle est privilégié pour les tumeurs précoces (T1-T2) sans adénopathie palpable.
6) En synthèse :
Le curage axillaire reste indispensable pour les cancers avancés ou ganglionnaires, mais le ganglion sentinelle s’impose comme une alternative moins invasive pour les tumeurs précoces, réduisant les complications sans compromettre le pronostic.
3. Chimiothérapie néo-adjuvante :
1) Indications de la chimiothérapie néo-adjuvante :
– Tumeurs volumineuses (> 3 cm) ou à croissance rapide.
– Cancers inflammatoires (T4d).
2) Objectifs principaux :
Pour ces tumeurs où le problème essentiel est le risque métastatique, la chimiothérapie préopératoire a deux buts :
– réduire le risque métastatique en traitant les éventuelles micrométastases avant l’exérèse chirurgicale (qui pourrait stimuler ces métastases),
– diminuer la taille tumorale pour permettre un traitement locorégional conservateur (chirurgie partielle + radiothérapie).
3) Prise en charge des cancers inflammatoires (T4d) :
– Chimiothérapie néoadjuvante obligatoire pour contrôler la maladie et permettre la chirurgie.
– Radiothérapie adjuvante systématique pour réduire le risque de récidive locorégionale.
4. Traitement des cancers localement avancés (T4a, b, c) et des cancers négligés sans métastase (M0) :
1) Tumeurs lentement évolutives avec extension à la peau et/ou à la paroi thoracique :
Il s’agit en général des cancers de la femme âgée. Ils sont le plus souvent hormonodépendants.
Certaines formes squirreuses rétractent le sein sur lui-même pendant plus de 20 ans sans donner de métastase. Pour ces formes-là, il n’est pas évident que la chirurgie et la radiothérapie soient nécessaires.
Traitement privilégié :
– Hormonothérapie exclusive (ex. inhibiteurs de l’aromatase) plutôt que chirurgie/radiothérapie, sauf symptômes invalidants.
– Surveillance active en raison d’un faible risque métastatique.
2) Autres tumeurs localement avancées (T4a, T4b, T4c) N0-N1 M0 :
– Mastectomie radicale après chimiothérapie néoadjuvante si l’état général le permet.
– Radiothérapie adjuvante systématique pour contrôler les rechutes locorégionales (paroi thoracique, ganglions).
Nb : Radiothérapie préopératoire : elle peut être conseillée si la tumeur s’accompagne d’œdème péritumoral faisant redouter une poussée évolutive dans cette tumeur évoluée.
5. Chirurgie des rechutes locorégionales :
1) Rechute préthoracique post-mastectomie :
Traitement : résection chirurgicale + radiothérapie (au choix) :
– irradiation externe par électrons,
– curiethérapie à l’iridium 192.
2) Rechute après traitement conservateur :
– Traitement standard :
. Mastectomie simple.
. ± lambeau cutanéomusculaire (grand dorsal/grand droit) si tissus préthoraciques altérés.
– A éviter :
Les « retumorectomies » (réinterventions conservatrices) : risque élevé d’une nouvelle récidive et résultats esthétiques médiocres.
– Exception :
Récurrences tardives, petites et à distance du lit tumoral initial : tumorectomie possible (après évaluation multidisciplinaire).
3) Rechute ganglionnaire axillaire :
– Pronostic : grave (signe d’évolution métastatique imminente !).
– Prise en charge :
. Exérèse chirurgicale des ganglions atteints.
. Radiothérapie axillaire complémentaire (malgré le risque de lymphœdème).
. Traitement systémique : chimiothérapie et/ou hormonothérapie adjuvante selon le profil tumoral.
6. Conclusion :
Le traitement locorégional soit conservateur soit radical reste le traitement de première ligne de tous les cancers du sein dit « opérables » ou parfois après traitement néo-adjuvant (chimiothérapie et/ou radiothérapie) pour les tumeurs de gros volume ou en poussée évolutive.

Chirurgie du cancer du sein :
Définition des termes (rappel)
– Mastectomie radicale (opération de Halsted) : ablation en monobloc du sein, de son enveloppe cutanée, des muscles pectoraux et des ganglions axillaires.
– Mastectomie radicale modifiée (opération de Patey / Madden) : ablation en monobloc du sein avec une partie de l’enveloppe cutanée et des ganglions axillaires. Conservation des muscles pectoraux.
– Mastectomie simple : ablation du sein sans curage axillaire.
– Mastectomie sous-cutanée : ablation de la glande mammaire en conservant la plaque aréolo-mamelonnaire et le sac cutané.
– Tumorectomie simple : exérèse de la tumeur sans marge de sécurité glandulaire.
– Tumorectomie large ou segmentectomie : exérèse de la tumeur avec une marge de sécurité glandulaire.
– Pyramidectomie : ablation d’une zone du sein centrée sur la tumeur et orientée vers le mamelon.
– Quadrantectomie : exérèse de la totalité d’un quadrant mammaire.
D’autres termes peuvent être observés dans la littérature, tels que « zonectomie » ou « mastectomie partielle » ; ils sont imprécis et n’apportent pas de notions intéressantes dans le domaine de la chirurgie carcinologique.