L’utilisation de l’aspirine, ou acide acétylsalicylique, pendant la grossesse est un sujet central en obstétrique.
Si ses avantages à faible dose sont bien établis pour certaines indications, elle peut également comporter des risques importants, notamment à des doses élevées ou à des périodes avancées de gestation.
1. Pharmacologie et mécanisme d’action :
L’aspirine possède une action dose-dépendante avec des effets cliniques distincts selon la posologie administrée.
A faible dose (60-150 mg/jour), son effet principal est anti-agrégant plaquettaire par inhibition irréversible de la cyclo-oxygénase plaquettaire, tandis qu’à doses plus élevées (> 500 mg), ses effets anti-inflammatoires et antipyrétiques prédominent.
2. Principales indications de l’aspirine pendant la grossesse :
1) Prévention de la prééclampsie :
L’aspirine à faible dose (75 à 150 mg/jour) est largement utilisée pour la prévention de la prééclampsie chez les patientes à haut risque obstétrical :
– Population cible : femmes à haut risque (antécédents de prééclampsie, HTA chronique, diabète prégestationnel, néphropathie, grossesse multiple…) (Cf tableau).
– Moment d’initiation : avant 16 SA, idéalement entre 11 et 14 SA.
– Modalités : prise le soir, poursuivie jusqu’à 36 SA.
2) Prévention des complications vasculaires placentaires :
L’aspirine peut réduire les risques liés aux anomalies de placentation, comme le RCIU ou la MIU d’origine vasculaire.
Les modalités d’administration et les précautions sont similaires à celles utilisées pour la prévention de la prééclampsie.
3) Troubles de la fertilité, fausses couches à répétition :
Son efficacité est controversée.
Certaines indications dans les troubles de la fertilité ou les fausses couches à répétition ; l’aspirine semble bénéfique uniquement pour certains sous-groupes, tels que les femmes présentant un état inflammatoire documenté (par exemple, taux élevé de CRP-hs) ou ayant subi une fausse couche récente dans les 12 derniers mois.
3. Risques et contre-indications pendant la grossesse :
1) Doses élevées ( ≥ 500 mg/jour) :
– Contre-indiquées dès le 6ème mois (24 SA) : ces doses augmentent les risques de toxicité fœtale, notamment cardio-vasculaire et rénale (le risque existe même avec une seule prise et même si la grossesse est à terme…).
– Complications possibles : fermeture prématurée du canal artériel, insuffisance cardiaque fœtale, oligoamnios, insuffisance rénale fœtale.
Nb : Même pendant les cinq premiers mois (avant 24 SA) : l’utilisation d’aspirine à forte dose (> 500 mg/jour) doit être évitée et ne doit se faire que de façon ponctuelle, sur avis médical, et en cas d’absolue nécessité.
La prudence générale voudrait d’éviter l’aspirine à forte dose pendant toute la grossesse.
* Alternative pour la douleur :
. Le paracétamol est l’antalgique de choix pendant la grossesse.
. Les AINS comme l’ibuprofène ou le kétoprofène suivent les mêmes contre-indications que l’aspirine à forte dose.
2) Doses faibles ( ≤ 150 mg/jour) :
– Sécurité démontrée : elles n’entraînent pas d’effets secondaires majeurs lorsqu’elles sont prescrites selon les recommandations.
– Effets indésirables rares : augmentation des saignements maternels et hémorragies périnatales, justifiant une surveillance rapprochée.
4. Modalités pratiques de prescription :
– Dose optimale : entre 75 et 150 mg/jour, généralement 100 mg/jour.
– Moment de prise : en soirée, pour maximiser l’effet antiagrégant plaquettaire.
– Durée du traitement : jusqu’à 36 SA, en évitant toute interruption injustifiée.
5. Recommandations pour la pratique clinique :
– Évaluer le bénéfice/risque avant toute prescription : une approche individualisée est essentielle pour chaque patiente.
– Privilégier les faibles doses : les doses ≥ 500 mg/jour doivent être évitées, notamment à partir du 6ème mois.
– Informer les patientes : une communication claire sur les bénéfices et risques est cruciale.
– Surveiller les effets secondaires : surveillance de la tension artérielle, de la protéinurie et des éventuels saignements.
6. Conclusion :
L’aspirine à faible dose, prescrite de manière ciblée, représente une avancée majeure en obstétrique, mais son usage doit être encadré par des recommandations rigoureuses et une surveillance attentive.
En septembre 2021, la US Preventive Service Task Force (USPSTF), groupe de travail sur la prévention aux États-Unis, a publié son rapport sur l’utilisation de l’Aspirine pour réduire les risques de prééclampsie et la morbidité et mortalité qui lui sont associées.
Ce rapport est le prolongement des recommandations européennes publiées par l’European Society of Cardiology (ESC) en Europe en 2018.
Ces deux conseils estiment que certains risques, pris individuellement, justifient la prescription d’Aspirine, tandis que d’autres ne le feraient que si deux au moins sont associés. (Cf Tableau ci-dessous).
Résumé des recommandations européennes et américaines sur les critères de prescription d’Aspirine au cours de la grossesse pour prévenir la prééclampsie :
• Dans le cadre de l’ESC 2018 : l’Aspirine est recommandée à une dose quotidienne de 100 à 150 mg de la semaine 12 jusqu’à la semaine 36-37 si la patiente présente au moins un facteur de risque élevé, et obligatoirement deux facteurs si le risque est modéré.
• Selon l’USPSTF 2021 : l’Aspirine doit être administrée à une dose de 81 mg par jour, dès la 12ème SA, si la patiente présente au moins un facteur de risque élevé, et deux facteurs si le risque est modéré.
Aspirine et grossesse | ||
---|---|---|
Niveau de risque | ESC 2018 ![]() | USPSTF 2021 ![]() |
Élevé (> 1 FDR) | – HTA lors d’une précédente grossesse – HTA chronique – Maladie rénale chronique – Maladie auto-immune (LED, SAPL) – Diabètes (type 1 ou 2) | – Antécédent de prééclampsie, surtout si associé à une complication – HTA chronique – Maladie rénale chronique – Maladie auto-immune (LED, SAPL) – Diabètes (type 1 ou 2) – Grossesse multiple |
Modéré (> 2 FDR) | – Première grossesse – Age maternel > 40 ans – Délai depuis la dernière grossesse > 10 ans – IMC > 35 à la première consultation – Antécédent familial de prééclampsie (mère ou sœur) – Grossesse multiple | – Première grossesse – Age maternel > 35 ans – Délai depuis la dernière grossesse > 10 ans – IMC > 30 – Antécédent de RCIU – Antécédent familial de prééclampsie (mère ou sœur) – Milieu défavorisé – Pauvreté – FIV |
Points clés
– L’aspirine à faible dose est un outil efficace pour la prévention de la prééclampsie et des complications vasculaires, à condition d’être initiée précocement (à partir de 12 SA) et arrêtée à 36 SA.
– Toujours évaluer le rapport bénéfice/risque avant toute prescription d’aspirine pendant la grossesse.
– Différencier clairement les doses anti-agrégantes (75-150 mg) des doses anti-inflammatoires (> 500 mg)
– Privilégier les faibles doses (75-150 mg/j) et éviter toute utilisation à forte dose.
– Informer la patiente des risques potentiels et surveiller la survenue d’effets indésirables.
– Ne jamais prescrire d’aspirine à forte dose à partir du 6ème mois de grossesse.