1. Introduction :
Depuis qu’est née, autour des années 1950, la chimiothérapie anticancéreuse, le cancer du sein est très vite apparu comme une des localisations néoplasiques les plus sensibles aux produits cytotoxiques. Si ce type de traitement ne contribue pas de façon spectaculaire à la guérison des cancers du sein, son efficacité observée dans une importante proportion de cas a conféré aux traitements chimiques une place importante dans la stratégie thérapeutique.
Généralités :
D’abord utilisée uniquement dans les formes cliniquement avancées et inaccessibles aux traitements loco-régionaux, qu’il s’agisse de formes métastatiques ou de récidives locales de cancers déjà traités, la chimiothérapie a vu, par la suite, ses indications s’étendre aux formes de début de la maladie, visant alors la maladie micrométastatique infraclinique, succédant le plus souvent au traitement local, par chirurgie et/ou par radiothérapie, parfois même les précédant.
C’est dans les formes avancées, avec une cible tumorale facilement appréciable qu’est étudiée l’efficacité de nouveaux antimitotiques au fur et à mesure de leur apparition. C’est dans ces mêmes formes avancées qu’ont été étudiées les associations de produits, qu’a été démontrée leur plus grande efficacité par rapport à celle des substances utilisées isolément et qu’ont été menés des essais comparatifs d’associations chimiothérapiques.
L’interprétation de la littérature, considérable dans ce domaine, est souvent difficile. Pour un même produit, pour une même association, on trouve des taux de réponses souvent très éloignés. Cette disparité des résultats observés a de multiples causes : différence dans les populations traitées, dans les critères de jugement utilisés, dans les modalités d’application du protocole, etc. Même la comparaison de deux schémas identiques, faite par deux équipes différentes aboutit parfois à des résultats discordants.
Tous ces problèmes, joints à la multiplicité des associations proposées, ne différant souvent que par des nuances, expliquent que le choix de la thérapeutique à mettre en œuvre pose au clinicien un problème difficile.
Il faut savoir aussi que l’utilisation des agents cytotoxiques n’est pas dénuée de risques, car ils sont très agressifs sur certains organes “encore sains” (moelle osseuse) et peuvent entraîner des effets indésirables, voire des accidents graves.
Dans le tableau I sont présentés les principaux cytotoxiques évalués dans le cancer du sein.

A ces médicaments connus de longue date s’ajoutent les cytotoxiques majeurs dans le traitement des cancers du sein que sont les taxanes au terme des premiers essais d’évaluation. S’il est encore trop tôt pour définir clairement leur place dans les stratégies thérapeutiques, les taux de réponses objectives obtenus sont supérieurs à 55 % pour les deux médicaments actuellement soumis aux investigations : le paclitaxel (Taxol ®) et le docétaxel (Taxotère ®). Les profils de tolérance de ces médicaments sont différents comme leurs possibilités d’association avec d’autres cytotoxiques mais le fait essentiel réside dans l’absence au moins partielle de résistance croisée avec les autres cytotoxiques.
2. Associations chimiothérapiques :
A l’instar de bien d’autres tumeurs, il a été fait appel rapidement dans le traitement du cancer du sein à des polychimiothérapies qui, dès les premières tentatives, se sont montrées sensiblement plus actives que chacun des produits utilisés isolément. Cela a été confirmé par des études randomisées comparant une monochimiothérapie à une polychimiothérapie.
Il existe un nombre considérable de protocoles utilisant le plus généralement trois médicaments cytotoxiques, moins souvent quatre, voire cinq substances, elles-mêmes administrées à des rythmes et à des doses variables.
En fonction de leur efficacité individuelle ou en combinaison, de leur tolérance propre, sont reconnus des médicaments de 1ère ligne : cyclophosphamide, anthracyclines, taxanes, vinorelbine, tous actifs dans plus de 40 % des cas et dont la toxicité aiguë est essentiellement hématologique. Les médicaments de 2ème ligne sont réservés aux situations d’échec, de récidive ou de contre-indication aux cytotoxiques de 1ère ligne.
D’autant plus efficace qu’elle est appliquée sur une masse tumorale plus réduite, la principale cause d’échec de la chimiothérapie est liée au développement d’une résistance dont la probabilité et la précocité d’apparition sont inversement liées à la dose. Par ailleurs, l’augmentation de la dose augmente l’efficacité de la chimiothérapie sur les tumeurs à cinétique de prolifération rapide.
3. Modalités du traitement chimiothérapique :
Le pronostic à long terme dans le cancer du sein reste encore sévère, puisque même en cas d’intégrité ganglionnaire (N-), la survie à 10 ans est de : 82 % si T1, 65 % si T2, et 44 % si T3.
Ce pronostic est avant tout lié à la dissémination métastatique responsable du décès dans la plupart des cas.
Modalités d’application :
La sensibilité à la chimiothérapie varie avec la localisation tumorale en cause : les localisations mammaires, cutanées, ganglionnaires sont parmi les plus sensibles ; viennent ensuite les atteintes pleuro-pulmonaires et hépatiques, les atteintes osseuses répondent apparemment peu. Dans les atteintes viscérales et osseuses, les protocoles comportant de la doxorubicine sont parmi les plus efficaces.
Le choix du protocole à instituer de première intention doit tenir compte d’un certain nombre de considérations :
– l’âge avancé, l’état général médiocre, des conditions de vie défavorables, doivent faire prescrire les associations les moins agressives,
– les formes très évolutives, des signes fonctionnels menaçants nécessitent un recours aux protocoles les plus actifs et les plus rapidement efficaces, avec doxorubicine notamment.
Proposée aux différents stades de la maladie, la chimiothérapie peut être :
. néo-adjuvante,
. adjuvante,
. exclusive.
1) Chimiothérapie néo-adjuvante (ou d’induction) :
C’est la chimiothérapie de première intention, initiale, qui précède le traitement locorégional.
Cette thérapeutique a initialement été mise en œuvre dans les cancers inflammatoires du sein inopérables d’emblée, de pronostic très sombre (5 % de survie à 5 ans), qui étaient traités initialement par la radiothérapie première. La chimiothérapie a entraîné des régressions locales spectaculaires dans un certain nombre de cas, et a multiplié par 4 la survie à 5 ans.
L’application de cette méthode aux autres formes de cancer du sein présente pour ceux qui la préconisent plusieurs avantages ; elle :
– permet de traiter précocement d’éventuelles micrométastases,
– permet parfois à une tumeur volumineuse de devenir accessible à un traitement conservateur,
– constitue un test de chimiosensibilité in vivo (on peut ainsi évaluer la réponse tumorale sous traitement).
Elle sera donc indiquée en pré-opératoire en cas de haut potentiel métastatique :
– tumeur très infiltrante, grade II-III de SBR (cancers indifférenciés),
– grosse tumeur > 5 cm,
– poussée évolutive (Pev2- Pev3),
– atteinte ganglionnaire massive.
Les cures doivent être les plus intensives et les plus rapprochées possibles.
Leur nombre avant le traitement local est en général de 3, 4 ou 6.
2) Chimiothérapie adjuvante :
C’est la chimiothérapie complémentaire qui succède au traitement loco-régional (chirurgie radicale ou conservatrice – radiothérapie) dont elle améliore sensiblement les résultats, surtout dans les formes présumées de mauvais pronostic.
La chimiothérapie adjuvante semble très efficace et améliore nettement le pronostic car elle agit sur les cellules tumorales restantes ; quand elles existent : elles sont peu nombreuses et plus vulnérables aux anti-mitotiques. Cette modalité a donné lieu au plus grand nombre d’essais contrôlés.
Elle sera donc indiquée en post-opératoire dans les cas suivants (risque de métastases occultes) :
– envahissement ganglionnaire (N+),
– facteurs de risque métastatique :
. âge de la patiente < 35-40 ans,
. tumeurs ≥ pT2,
. envahissement ganglionnaire (≥ pNmi),
. absence d’expression des récepteurs aux œstrogènes et à la progestérone,
. grade SBR lll,
. grade SBR ll proliférante (avec un Ki67 > 20 %).
La qualité du traitement dépend des principes suivants :
– Précocité : chimiothérapie débutée le plus précocement possible après la chirurgie (avant 3 semaines).
– Intensité : chimiothérapie aussi intensive que possible (doses réduites inefficaces).
. La polychimiothérapie est significativement plus efficace que la monochimiothérapie.
. Le bénéfice ne semble pas significativement différent qu’il y ait 1 à 3 ou plus de 4 ganglions envahis.
– Durée : la chimiothérapie est plutôt plus courte qu’auparavant ; le nombre de cures est limité en général à 6.
– Intervalles de repos entre 2 cures : 3 semaines.
Classiquement, on utilise une polychimiothérapie comportant une anthracycline : 6 cures de FEC 100 (5 FU, Epirubicine, Cyclophosphamide) ou FAC (Adriamycine à la place de l’Epirubicine comme anthracycline) ou un protocole associant des taxanes (Taxotère ®).
Ces deux premières modalités (chimiothérapie néo-adjuvante et adjuvante) associées au traitement locorégional bien conduit ont pour objectif la guérison de la patiente. Il est fondamental pour atteindre cet objectif de définir une stratégie thérapeutique au moment du diagnostic et du bilan d’extension. Ceci n’est obtenu valablement que dans un staff multidisciplinaire qui aura à établir la stratégie pour chaque patiente, à définir et respecter les délais entre les trois armes thérapeutiques de prise en charge du cancer du sein (chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie).
>>> ATTENTION REFLEXE
La surexpression de HER2 n’est pas une indication de chimiothérapie mais de thérapie ciblée : TRASTUZUMAB (Herceptin ®).
A SAVOIR : LE CAS PARTICULIER DE L’HERCEPTIN ®
Le TRASTUZUMAB (Herceptin ®) est un anticorps monoclonal qui inhibe la prolifération des cellules tumorales humaines surexprimant HER2 (récepteur 2 des facteurs de croissance épidermique humains). Ses indications sont :
– cancer du sein en situation adjuvante avec surexpression tumorale de HER2, après chirurgie, chimiothérapie (néo-adjuvante ou adjuvante) et radiothérapie,
– cancer du sein métastatique, avec surexpression tumorale de HER2.
3) Chimiothérapie exclusive ± radiothérapie :
C’est généralement le seul traitement envisageable dans les stades avancés, inopérables et très évolués :
– formes polymétastatiques,
– formes inflammatoires aiguës (mastite carcinomateuse),
– formes récidivantes,
– squirrhes.
Bien sûr, à ce stade, le pronostic est toujours réservé, mais il faut tenter d’améliorer la qualité de la vie et le confort de la malade quand cela est possible.
« La chimiothérapie s’effectue en règle en ambulatoire, après contrôle des paramètres cliniques et biologiques. Il est pratiqué des cycles de 1 à 5 jours toutes les 3 à 4 semaines.
La pratique de la chimiothérapie nécessite non seulement la connaissance de la pharmacologie des anticancéreux mais aussi un respect rigoureux des règles d’utilisation. L’écart entre dose efficace, dose toxique et dose létale est le plus souvent infime.
Le choix que fait le thérapeute est souvent difficile entre la tentation de posologies faibles, confortables à gérer mais gages immédiats d’inefficacité et ultérieurs de résistance aux anticancéreux et des posologies fortes, mais sûrement toxiques et potentiellement dangereuses.
La toxicité de la chimiothérapie anticancéreuse est connue, souvent prévisible et en règle maîtrisable. Cette toxicité est aiguë ou subaiguë sur les tissus à renouvellement rapide, comme le sang, l’appareil digestif et les phanères. »
K. BOUZID
Chef de service d’oncologie. CPMC ALGER.
4. Agents cytotoxiques : Cf chapitre spécial
5. Protocoles de la chimiothérapie (2017)


6. Surveillance de la chimiothérapie : Cf chapitre spécial
7. Conclusion :
L’apport de la chimiothérapie dans le traitement des cancers du sein est incontestablement important. Mais beaucoup reste à faire pour que son usage transforme le pronostic du cancer du sein de façon aussi radicale qu’il l’a fait dans certaines hémopathies.
Sa toxicité est un des éléments importants limitant son efficacité.
Il est probable que les années à venir verront s’améliorer les résultats acquis grâce à des travaux menés dans différentes directions.