1. Définition :

Les syndromes hémorragiques de la délivrance regroupent toute une série de pathologies souvent intriquées dont la traduction clinique est univoque : spoliation sanguine d’origine génitale. Pour être liée à une pathologie de la délivrance, cette déperdition sanguine devrait répondre à 3 critères :

– Temporel : il s’agit d’une pathologie hémorragique débutant dans les 2 heures suivant la naissance de l’enfant. Il est classique au-delà de ce délai de parler de post-partum immédiat.

Elle peut être primitive, survenant avant l’extraction du délivre, ou secondaire lui succédant après un délai plus ou moins long.

– Quantitatif : on considère habituellement comme anormale une spoliation sanguine supérieure à 500 ml lors de la délivrance.

– Anatomique : l’hémorragie de la délivrance doit prendre son origine soit au niveau du délivre lui-même, soit au niveau de la zone d’insertion utérine. Cette notion topographique permet d’éliminer les autres sources d’hémorragie et en particulier les lésions traumatiques des voies génitales hautes et basses.

2. Signes cliniques :

1) Locaux :

– Hémorragie extériorisée de sang rouge vif survenant d’emblée, volontiers très abondante ou au contraire parfois distillante.

– Intra-utérine se traduisant par la perte du globe de sécurité de Pinard avec ascension abdominale progressive de l’utérus qui est mou à la palpation. Son expression prudente donne issue brutalement par la vulve à une grande quantité de caillots.

2) Généraux :

Ils sont infidèles car tardifs, en dehors de toute pathologie surajoutée ; l’hémodilution physiologique de la grossesse chez une femme jeune permet longtemps la compensation hémodynamique de la spoliation sanguine.

Le choc obstétrical survient alors brutalement, grave d’emblée.

Il ne faut pas attendre la chute tensionnelle ni les signes classiques : pouls filant, rapide, soif, sueurs, pâleur, pour intervenir.

La plus grande valeur doit être accordée chez l’accouchée à toute accélération du pouls, pincement de la différentielle, ou sensation d’angoisse.

3. Conduite à tenir :

Le diagnostic est rapide, la mise en œuvre du traitement immédiate.

Son but : assurer l’hémostase avant l’apparition du choc.

Ses moyens : médicaux, obstétricaux et chirurgicaux.

1) Problème médical :

★ Mise en place d’une voie veineuse périphérique solide (cathéter court).

★ Début de remplissage vasculaire par solutés macromoléculaires. Il faut éviter d’en utiliser au total plus de 1500 ml du fait :

– de l’hémodilution qu’ils entraînent,

– de leur effet « parasite » sur la coagulation : dilution des facteurs de coagulation, effet antiagrégant plaquettaire, effet fibrinolytique.

★ L’anesthésie générale est un temps fondamental pour la recherche de l’étiologie et du traitement de l’hémorragie.

Elle n’intervient qu’après avoir tenté d’obtenir l’équilibre hémodynamique le plus satisfaisant possible.

Elle nécessite toujours un équipement complet de la patiente avec intubation trachéale.

★ Après avoir assuré la vacuité utérine par délivrance artificielle et/ou révision utérine, les ocytociques sont largement employés :

– par voie générale :

. méthylergobasine en injection IVD (1 ampoule de 0,2 mg),

. ocytocine synthétique en perfusion IV continue (10 UI dans 250 ml de SGI),

. exceptionnellement prostaglandines Pg F2α (Prostine ®) en perfusion IV continue dont l’emploi est discuté du fait des effets secondaires parasites : labilité tensionnelle, augmentation du péristaltisme digestif

– par voie locale : injection intramurale utérine par voie transcutanée abdominale de :

. 5 ou 10 UI d’ocytocine synthétique,

. 1 mg de PGF2α (en diluant 1 ml de Prostine ® avec 4 ml de sérum isotonique, 1 ml de solution = 1 mg),  qui peut être renouvelé. Cette injection intramurale directe sera volontiers préférée à l’utilisation par voie générale, peu efficace en cas de ralentissement circulatoire par choc vasculaire.

★ En cas de persistance de l’hémorragie : il est nécessaire à ce moment d’envisager :

– la compensation de la patiente en éléments figurés du sang et en facteurs de la coagulation afin de prévenir l’apparition d’une incoagulabilité par fuite des facteurs. La transfusion de sang frais d’emblée est la meilleure solution.

– la quantification de la spoliation sanguine est le plus souvent impossible matériellement. L’approche de la situation hémodynamique passe alors par l’appréciation objective de la PVC, grâce à une voie veineuse profonde, et si possible par la surveillance continue de la TA (sanglante). Diurèse grâce à une sonde à demeure et rythme cardiaque sur un tracé électrocardioscopique sont indispensables.

★ Le dépistage d’une coagulopathie doit être effectué parallèlement. Cause, mais surtout conséquence de la déperdition sanguine, le trouble de l’hémostase est avant tout à diagnostiquer en salle d’opération. Le bilan biologique est à pratiquer, mais son résultat se fait trop souvent attendre.

Le dépistage :

– cliniquement : absence d’amélioration alors que l’hémostase obstétricale devrait être assurée. Encore faut-il se méfier de la fréquence de l’inertie utérine secondaire au choc mal compensé, de mécanisme mal élucidé. Apparition d’hémorragies à distance en particulier aux points de ponction veineuse ;

– au laboratoire : le diagnostic de la coagulopathie de consommation est assuré par la constatation : d’un fibrinogène ≤ 1,50 g/l ; d’un TP ≤ 40 %, avec une numération des plaquettes < 150.000/mm3.


Ces 3 tests, s’ils sont peu spécifiques, sont suffisants pour affirmer un diagnostic grossier et pour suivre l’évolution d’autant plus que leur résultat peut être obtenu rapidement.

Le diagnostic de la coagulopathie peut être affiné en pratiquant en laboratoire spécialisé : le TCK, le TH et le dosage des cofacteurs, et l’intensité de la fibrinolyse par le dosage des PDF (qui sont > 40 mg/l).

En fait, en pratique, il est difficile habituellement de prendre le temps d’affiner un diagnostic, d’autant que le traitement immédiat est univoque : il repose sur les transfusions massives de sang frais.

★ Si l’hémostase doit être chirurgicale, par laparotomie : il faut tenter d’obtenir en début d’intervention : fibrinogène > 1 g/l ; TP > 40 % ; plaquettes > 50.000/mm3 ; en utilisant en plus du sang frais, éventuellement du plasma frais congelé, du cryoprécipité de fibrinogène et des concentrés plaquettaires.

Cas particuliers :

– Déficit spécifique connu : type maladie de Von Willebrand, insuffisance hépatique… : le traitement passe par la compensation spécifique, si possible prophylactique des facteurs déficitaires.

– Apport d’une quantité importante de matériel thromboplastinique (embolie amniotique, septicémie sur rétention d’œuf mort, infarcissement utérin) : c’est essentiellement dans ces cas que peut se discuter l’héparinothérapie, en suivant son efficacité sur le TH et le TCK.

– Fibrinolyse primaire : elle peut se rencontrer dans les HRP où les caillots organisés sont le siège d’une activité plasmine intense. C’est dans ce cas seulement, en attendant l’évacuation utérine qui constitue le seul traitement spécifique et logique que peuvent être utilisés pour certains auteurs les antifibrinolytiques (Iniprol ®, Zymofren ®), bien que leur efficacité soit discutée.

2) Problème obstétrico-chirurgical :

La constatation d’une hémorragie grave ou brutale lors de la délivrance quel qu’en soit le temps, doit mettre en œuvre les mesures successives suivantes :

– une révision des voies génitales S/AG.
– une mesure conservatoire à utiliser dans tous les cas : la compression de l’aorte.
– des mesures en fonction de l’étiologie.

a) Révision des voies génitales :

L’anesthésie générale est souhaitable. Si elle n’est pas immédiatement possible, il ne faut pas surseoir malgré tout au contrôle utérin et notamment à l’évacuation de l’utérus, soit par délivrance artificielle, soit par révision utérine.

Il faut noter que le simple examen manuel ne suffit pas pour préciser valablement l’existence de lésions traumatiques très souvent associées et siégeant au niveau du col, des culs-de-sac vaginaux, des parois latérales du vagin.

L’AG devient impérative pour l’examen sous valves, larges et profondes, nécessitant un aide. Il permet de faire un bilan anatomique précis des éventuelles lésions traumatiques, et d’en faire la réparation dès que l’on s’est assuré de la vacuité parfaite de l’utérus et de sa rétraction permanente, qui devra souvent être maintenue par le massage du fond utérin.

b) Compression de l’aorte :

Parallèlement au premier temps, toujours indispensable, même si une révision antérieure avait déjà été réalisée, on peut utiliser une mesure classique : la compression de l’aorte, assurée par une personne placée latéralement à l’accouchée et appuyant avec le poing de la main droite sur la partie terminale de l’aorte abdominale au-dessous de l’ombilic. Cette manœuvre simple ne peut pas être prolongée longtemps, mais permet de réaliser une économie de sang non négligeable.

c) Réparation des lésions traumatiques :

Les plaies du vagin, du col et du dôme vaginal sont traitées par suture hémostatique au fil résorbable.

L’assistance de deux aides ne représente pas seulement un élément de confort, mais un élément de sécurité.

Les lésions extensives au segment inférieur, aux paramètres ou au corps utérin, essentiellement à type de rupture sont traitées d’emblée par laparotomie. Le geste chirurgical est fonction de l’âge et de la parité de la patiente et surtout de la nature et de l’étendue des lésions : suture simple, ligature des artères hypogastriques, hystérectomie.

La persistance d’une hémorragie d’origine basse après échec du traitement chirurgical justifie le recours à l’embolisation sélective orientée par angiographie. Elle se fait S/AL, par abord axillaire.

d) L’hémorragie est d’origine utérine :

Deux situations peuvent se présenter :

– la vacuité est affirmée par la révision utérine : il s’agit d’une inertie.

– il existe une rétention de tout ou partie du placenta par adhérence anormale (accreta, increta ou percreta).

* Inertie utérine :

Parallèlement aux ocytociques injectés par voie générale, on procède successivement à :

– Un massage utérin bimanuel, prolongé jusqu’à ce que la rétraction chasse le poing endo-utérin.

– L’inefficacité partielle du massage peut amener à compléter son action par une injection intramurale d’ocytocique.

– La persistance de l’atonie peut être justifiable d’une dernière mesure conservatrice non chirurgicale : l’élongation-torsion des artères utérines. Cette manœuvre est facilement réalisée par mise en place de plusieurs (au minimum 4) pinces de Museux sur les 2 lèvres du col. Ces pinces permettent d’exercer une traction soutenue ainsi qu’une torsion axiale de 90° vers la droite.

L’efficacité de cette manœuvre est souvent spectaculaire, mais doit être poursuivie longtemps, au minimum 20 à 30 mn. Si l’hémorragie persiste au delà ou récidive, il ne reste plus qu’à se résoudre à la laparotomie.

– La LMSO doit toujours être préférée ; elle permet d’essayer en premier lieu une hémostase utérine élective par ligature appuyée des artères utérines au niveau isthmique.

Tsirulnikov propose de compléter le geste par la ligature des ligaments utéro-ovariens et des ligaments ronds.

En cas d’échec, qui paraît rare, ou surtout d’association à des lésions traumatiques basses, il faut alors recourir à la ligature bilatérale des artères hypogastriques. L’efficacité de la technique est pratiquement constante, si bien que la place de l’hystérectomie d’hémostase est réduite aux lésions utérines traumatiques ou vasculaires (ruptures, infarctus). En outre, ce traitement conservateur autorise une fonction ovarienne normale et la possibilité de nouvelles grossesses.

*) Adhérence placentaire anormale :

Il est ici illusoire d’essayer d’obtenir une hémostase autrement que par un moyen chirurgical. Le choix de la technique dépend du degré d’adhérence placentaire, de son étendue et du désir de grossesse ultérieure. Il se fait entre l’hystérectomie subtotale ou totale et les diverses ligatures vasculaires envisagées plus haut.

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