La survenue d’un ictère au cours d’une grossesse est une éventualité rare, dominée en fréquence par l’hépatite virale et la cholestase gravidique récurrente (70 à 80 % des étiologies).
Le foie gravidique normal ne présente pas de modifications fonctionnelles importantes: il existe une cholestase modérée infraclinique, sans cytolyse ni insuffisance hépatique.
* Le risque (M et F) dépend de la cause et de la gravité de l’ictère, qui guident l’attitude obstétricale.
# Affirmer l’ictère est généralement facile :
Il s’agit d’une coloration jaune des téguments et des muqueuses.
La certitude est apportée par le dosage de la bilirubine totale (N < 17 mmol/l) quand le taux s’élève à plus de 18 mmol/l (10 mg/l).
1. Démarche diagnostique :
Elle est de difficulté variable.
1) Interrogatoire :
Il précise :
– Les antécédents :
. familiaux : ictère, maladie hémolytique,
. personnels, en particulier : ATCDS de prurit ou d’ictère pendant une grossesse ou s/EP, maladie hépatobiliaire, rénale, ou hématologique.
– les signes associés (à l’ictère) :
. coloration des selles et des urines,
. prurit, fièvre, douleurs abdominales,
. ictère de l’entourage,
. prises médicamenteuses.
2) Examen clinique :
Il doit être complet :
– Hépatique : HPM, signe de Murphy, manifestations d’insuffisance hépatocellulaire.
– Obstétrical :
. retentissement de l’ictère sur la grossesse : MAP, SF, MIU.
. pathologie associée : infection urinaire, HTA.
– Général.
3) Bilan biologique “de 1ère intention” :
– NFS,
– ECBU,
– bilirubine totale, libre et conjuguée,
– transaminases, phosphatases alcalines (PA),
– taux de prothrombine (TP).
4) Secondairement, on pourra faire une échographie abdominale :
A la recherche d’une lithiase vésiculaire ou de la VBP, et pour apprécier s’il y a une dilatation des voies biliaires.
2. Hépatite virale :
Elle peut survenir à n’importe quel moment de la grossesse, mais s’observe préférentiellement au 3ème trimestre. C’est la cause la plus fréquente des ictères pendant la grossesse.
1) Diagnostic :
Dans la grande majorité des cas, il s’agit d’une hépatite aiguë bénigne, avec :
– clinique : à la suite de la phase pré-ictérique (classique embarras gastrique fébrile), survenue d’un ictère cutanéo-muqueux avec prurit, asthénie, selles décolorées, urines rares et foncées,
– biologie : cytolyse intense (transaminases très augmentées) ; cholestase et IHC modérées ; Ag HBs retrouvé dans les hépatites B ; Ac anti-HA de classe IgM dans les hépatites A.
2) Pronostic :
– Pour la mère : évolution favorable en 4 à 8 semaines.
Le passage à la chronicité sous forme persistante ou active n’est pas plus fréquent qu’en dehors de la grossesse, et n’est affirmé qu’après 6 mois d’évolution par une ponction-biopsie.
En l’absence d’évolution vers la chronicité, de nouvelles grossesses sont possibles après normalisation des paramètres cliniques et biologiques.
Cette normalisation permet aussi d’envisager une contraception par EP.
– Pour le fœtus :
. pendant le 1er trimestre : risque d’ABRT spontané ; le risque tératogène est discuté,
. pendant les 2ème et 3ème trimestre : risque d’AP (25 %), voire de MIU (1 %).
– Quant à la transmission à l’enfant : elle est possible pendant la grossesse, surtout au 3ème trimestre, par voie transplacentaire, mais la CONTAMINATION PER ET POST-NATALE EST BEAUCOUP PLUS FREQUENTE.
Il est nécessaire en cas d’Ag HBs (du 3ème trimestre) de prévoir une prophylaxie pour le nouveau-né : injection dans les 48 h de 0,5 mg/kg de gammaglobulines spécifiques + la vaccination.
3) Formes cliniques :
– HV cholestatique (P.A augmentées) : où l’importance de la cholestase peut poser des problèmes diagnostiques,
– HV grave, surtout dans les pays à bas niveau SE : l’insuffisance hépatique sévère met en jeu le pronostic vital maternel et fœtal (Dg différentiel : SHAG).
3. Cholestase récurrente gravidique :
Elle semble liée aux taux élevés d’estrogènes pendant la grossesse.
Il existe probablement une prédisposition familiale génétique.
1) Diagnostic :
– Clinique : elle débute par un prurit généralisé, intense et permanent, avec lésions de grattage et asthénie.
Les urines sont foncées et les selles décolorées.
L’examen clinique est normal, mais l’interrogatoire peut retrouver des épisodes identiques au cours d’une grossesse antérieure, de la prise d’EP, voire chez la mère ou la sœur.
– Biologie : cholestase intra-hépatique pure, sans cytolyse ni IHC : augmentation modérée de la bilirubine et augmentation des P.A.
2) Pronostic :
– Le pronostic maternel est favorable : l’ictère et le prurit disparaissent après l’accouchement ; le risque est la récidive lors des grossesses ultérieures ou de la contraception orale.
– Le pronostic fœtal est plus réservé et guide l’attitude obstétricale (terminaison prématurée de la grossesse par déclenchement ou césarienne, dès la maturité fœtale obtenue, pour éviter la MIU).
3) Traitement :
Le prurit est amélioré, de façon inconstante par la cholestyramine (Questran ®).
4. Autres causes d’ictère :
Elles sont plus rares et nécessitent des investigations guidées par la présence de signes de gravité et la connaissance d’une pathologie hépatique antérieure à la grossesse.
1) Lorsqu’il existe des signes de gravité :
* Le pronostic vital maternel et fœtal est en jeu ; le tableau associe :
– Syndrome neurologique d’encéphalopathie hépatique,
– troubles de la crase sanguine,
– syndrome biologique d’IHC,
– état de choc, IRA,
– hémolyse intravasculaire,
– syndrome de souffrance pancréatique.
* Le bilan étiologique recherchera les affections suivantes :
– HV grave : tableau d’atrophie jaune aiguë du foie,
– septicémie : pyélonéphrite gravido-toxique, septicémie à germes Gram (-), leptospirose,
– hépatite toxique : halothane, tétracyclines, TAO ®,
– pancréatite aiguë gravidique : la recherche d’une lithiase biliaire est essentielle,
– éclampsie,
– stéatose aiguë gravidique : c’est une affection purement gravidique, gravissime, avec des troubles de la conscience (encéphalopathie hépatique) qui sont plus souvent associés à l’ictère.
Il existe souvent une HTA et/ou une protéinurie et/ou des œdèmes.
Biologie : syndrome d’IHC aiguë (TP, fact. V diminuées), contrastant avec la discrétion du syndrome de cytolyse.
Il existe une IRA, et fréquemment une CIVD.
La mortalité maternelle est de l’ordre de 25 %, fœtale de 60 %.
Une fois la phase aiguë passée, la patiente guérit sans séquelles ; PAS DE RECIDIVE.
Traitement : outre le traitement symptomatique (prévention de l’hypoglycémie, correction des troubles de l’hémostase), l’évacuation utérine précoce est préconisée (déclenchement, césarienne).
2) Lorsque la grossesse survient sur un foie pathologique :
– Cirrhose du foie : rare, car la fécondité des cirrhotiques est faible ; il faut craindre des complications maternelles : hémorragies digestives, phlébothromboses porte. Le pronostic fœtal est mauvais.
– Hépatite chronique active : la grossesse pourrait en favoriser les poussées évolutives.
– Cholémie de Gilbert.
– Maladie de Dubin-Johnson : héréditaire et familiale ; la surcharge pigmentaire du foie lui donne une teinte vert-noirâtre.
3) Dans les ictères de 1ère atteinte sans signes de gravité :
Le diagnostic étiologique est fondé sur les circonstances d’apparition, l’examen clinique, et l’existence de signes de rétention (cholestase ou non).
a) Ictères à bilirubine indirecte (libre) :
Il faut rechercher (toutes les étiologies des hémolyses) :
– l’hyperbilirubinémie physiologique,
– l’allo-immunisation Rh grave,
– les anémies hémolytiques,
– les résorptions d’hématome.
b) Ictères à bilirubine directe (conjuguée) :
Il est nécessaire de pratiquer une échographie hépatique pour distinguer le type de cholestase :
– cholestase extra-hépatique (obstruction), avec voies biliaires dilatées : lithiase du cholédoque, compression extrinsèque par un processus tumoral (cancer pancréatique, gastrique ou de la VB),
– cholestase intra-hépatique, avec voies biliaires normales : hépatite virale, ictère récurrent gravidique, hépatite médicamenteuse, cirrhose hépatique.
Points clés
Il faut insister sur quelques points :
– Avant le 3ème trimestre : l’ictère n’est pas en rapport avec la grossesse (sauf cas exceptionnel de l’ictère secondaire à des vomissements très importants du 1er trimestre),
– l’interrogatoire doit toujours rechercher la prise d’un médicament pouvant être à l’origine,
– un ictère peut révéler une infection urinaire,
– il existe une prévention séro-vaccinale efficace de l’hépatite B néonatale.
En l’absence de cette prévention, le nouveau-né de mère Ag HBs positif restera souvent porteur chronique du virus de l’hépatite B (risque d’hépatite chronique, de cirrhose, d’hépatome),
– la SHAG est une cause d’ictère propre à la grossesse qui bien que rare, ne doit pas être méconnue. Le pronostic est lié à la précocité de l’accouchement.