Madame B…, âgée de 23 ans, est adressée par son médecin ORL pour exploration d’une angine s’accompagnant d’adénopathies cervicales douloureuses et d’une arthrite du coude droit ; il s’agit d’une patiente sans antécédent particulier, mariée et mère de deux enfants, âgés de cinq et six ans.
 

– L’histoire de la maladie a commencé il y a environ deux mois par une asthénie accompagnée d’une fébricule à 38°C, qui se sont maintenus jusqu’à maintenant ; le tableau s’est enrichi les jours derniers d’une dysphagie douloureuse avec raucité de la voix, et d’une limitation douloureuse de la mobilité du coude droit s’accompagnant d’un œdème inflammatoire de l’articulation. La patiente signale également l’apparition récente d'”aphtes” buccaux, indolores, et de céphalées.
 

– L’examen clinique, outre l’arthrite du coude, retrouve effectivement de petites adénopathies jugulo-carotidiennes droites, les autres aires ganglionnaires étant libres.

L’examen de la cavité buccale objective sur la face dorsale de la langue des aires arrondies et dépapillées indolores, et la gorge est érythémateuse.

Il existe de plus des lésions palmaires et plantaires hautement évocatrices de syphilides : papules palmaires brunâtres nettement indurées à la palpation avec collerettes desquamatives périphériques ayant tendance à la guérison spontanée, placards plantaires érythématosquameux psoriasiformes.

Un examen plus attentif met alors en évidence une perlèche unilatérale, de petites papules asymptomatiques périanales, et l’interrogatoire retrouve la notion de chute de cheveux diffuse récente…
 

– Le diagnostic de syphilis secondaire ne fait guère de doute et sera confirmé sans difficulté par la sérologie tréponémique qui reviendra positive à des taux élevés (VDRL = 1/128, TPHA = 1/10240).

Avant ce résultat, le seul diagnostic qui aurait pu à la rigueur être discuté était celui de syndrome de Fiessinger-Leroy-Reiter, du fait de l’atteinte bipolaire cutanéo-muqueuse et articulaire, mais, outre le fait que l’atteinte tégumentaire y est sensiblement différente, seule la syphilis secondaire pouvait expliquer l’ensemble de la symptomatologie.

Après qu’une sérologie VIH fut revenue négative, le traitement standard des syphilis secondaires (Extencilline ® IM : 2,4 MU une fois par semaine, trois semaines consécutives) est institué, avec majoration transitoire initiale de la symptomatologie témoignant d’une bénigne réaction d’Herxheimer.

L’interrogatoire mettra pour finir en évidence un rapport sexuel “suspect” quatre mois auparavant, et la sérologie du conjoint sera contrôlée (négative), ce dernier étant toutefois traité préventivement.

 

COMMENTAIRES :

La syphilis existe toujours, et se caractérise par un très grand polymorphisme clinique dans sa phase dite “secondaire” de dissémination hématogène.

Les manifestations systémiques sont courantes, polymorphes et trompeuses :

– rhumatologiques (poly- ou monoarthrites, ostéites des os longs ou du crâne),

– ORL (angine diffuse persistante, laryngite avec raucité de la voix),

– hématologiques (adénopathies classiquement épitrochléennes et occipitales, aires cependant indemnes dans le cas rapporté, splénomégalie),

– neurologiques (méningite lymphocytaire),

– néphrologiques (glomérulonéphrite),

– hépatiques (cytolyse ou cholestase),

– ophtalmologiques (uvéite)…
 

La sérologie syphilitique doit être demandée très facilement, d’autant que les manifestations cutanéo-muqueuses sont inconstantes et volontiers trompeuses.

Si le cas rapporté était tout à fait caractéristique, des atteintes cutanées acnéiformes, psoriasiformes, lichénoïdes, ou évocatrices des diagnostics de virose ou de toxidermie (roséole, souvent à la limite de la visibilité) sont décrites ; dans tous ces cas difficiles, il faut rechercher un élément sémiologique fondamental qui est l’induration des lésions.

L’atteinte muqueuse (très contagieuse !) est également polymorphe, mais le caractère indolore des lésions buccales, ici les classi-ques “plaques fauchées”, est évocateur.  

Des lésions vulvaires et périanales (volontiers pseudo-condylomateuses) sont possibles.
 

Le diagnostic repose sur l’examen au fond noir du produit de grattage des lésions muqueuses, dont l’interprétation est délicate au niveau buccal, du fait de l’existence de tréponèmes saprophytes qui peuvent être présents en abondance, et surtout sur la sérologie syphilitique représentée par le VDRL, qu’il faut absolument quantifier, et le TPHA ; l’immunofluorescence n’a ici aucun intérêt, de même que le désuet test de Nelson.

Il est très important de vérifier la sérologie VIH ; en effet, des échecs du traitement standard de la syphilis secondaire, tel qu’il a été décrit précédemment, ont été rapportés chez des patients séropositifs pour le VIH 1 non SIDA, avec rechute précoce sous une forme neurologique gravissime.

En cas de sérologie VIH positive au cours d’une syphilis secondaire et même primaire, il faut contrôler le liquide céphalo-rachidien, et prescrire en cas de méningite un traitement par la pénicilline à fortes doses en intraveineux.

 

Dans tous les cas, la surveillance de la sérologie tréponémique doit être régulière (VDRL quantitatif tous les 3 mois) afin de contrôler la diminution du taux du VDRL : il faut en effet retraiter si le taux n’a pas baissé de deux dilutions à 3 mois ou de quatre dilutions à 6 mois, ou si le taux réaugmente de deux dilutions.

Il faut naturellement contrôler également à distance la sérologie VIH.

Le dépistage et le traitement des partenaires sont obligatoires, mais peuvent se heurter à certaines réticences difficiles à contourner…

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