1. Définition :

Le syndrome de Turner est une maladie chromosomique liée à l’absence complète ou partielle d’un chromosome X. En effet, au lieu de posséder la répartition normale des chromosomes : 46 XX chez une femme, une turnérienne présente :

– soit l’absence d’un chromosome X : 45 X (monosomie X),
– soit plus rarement une anomalie sur l’un des deux chromosomes X présents (dans le cadre de mosaïques).

Sa fréquence n’est pas corrélée à l’âge maternel.

Cause habituelle : perte de l’X paternel.

Forte létalité in utero (80 % entre 10 et 40 SA).

2. Cytogénétique et fréquence :

Le syndrome a été décrit par Turner en 1938, puis en 1954, Polani et coll, décrivirent l’absence de corpuscule de Barr chez certaines femmes atteintes d’une agénésie ovarienne ; mais c’est Ford et coll, en 1959, qui montèrent que le caryotype chez les porteuses du syndrome de Turner est anormale, car il est caractérisé par la présence d’une monosomie X (45, XO), c’est-à-dire l’absence d’un chromosome X.

Le gonosome (chromosome sexuel) manquant dans la monosomie X est en général d’origine paternel, donc le chromosome X restant est d’origine maternel.

– 80 % des monosomies X sont complètes (45,X) ; 15 % sont en mosaïque [(45,X/46,XX) OU (45,X/46,XY)], et 5 % des monosomies X sont des anomalies partielles du chromosome X [46, X, i(Xq)].

Chez les turnériennes en mosaïque possédant le chromosome Y (45,X/46,XY), on trouve une ambiguïté génitale avec le risque de développer un gonadoblastome sur les ovaires dysgénétiques.

Nb : La monosomie X est mise en évidence chez 65 % des fœtus atteints par un hygroma cervical.

Le syndrome de Turner touche environ un nouveau-né de sexe féminin sur 2.500.

3. Diagnostic :

Le diagnostic peut être évoqué :

– en période néo-natale (dysmorphie, malformation) ou

– chez une adolescente (retard de croissance, impubérisme).

1) Chez le nouveau-né ou le nourrisson :

Le tableau clinique réalise le classique status de Bonnevie-Ullrich qui associe :

– cou palmé (pterygium colli) : replis cutanés s’étendant de la pointe de la mastoïde à l’acromion d’où un cou élargi, avec implantation basse des cheveux, de traitement chirurgical difficile (risque de cicatrices chéloïdiennes),

– lymphœdème, présent dès la naissance, au dos des mains et/ou des pieds (dur, non inflammatoire) remontant parfois sur les jambes et les avant-bras et qui persistera plusieurs semaines, voire plusieurs mois (jusqu’à 2 ans),

– la taille est déjà petite, souvent inférieure au 3ème percentile,

– la dysmorphie faciale n’attire que rarement l’attention à ce stade,

– les malformations viscérales, en particulier cardiaques ne conduisent qu’exceptionnellement au diagnostic à cette période, sauf parfois la coarctation de l’aorte qui doit, chez un nouveau-né de sexe féminin, faire évoquer ce diagnostic.

Devant cette symptomatologie sera pratiqué un caryotype et recherché des malformations (cardiaques, rénales) associées.

2) Chez l’enfant ou l’adolescente :

Le diagnostic est en général facile, grâce aux signes cliniques :

– retard statural,

– syndrome dysmorphique, avec de nombreuses anomalies, en particulier osseuses, 

– aménorrhée primaire,

– intelligence normale.

a) Retard statural :

Motif fréquent de consultation, il ne manque pratiquement jamais, aboutissant sans poussée de croissance pubertaire, à une petite taille (taille définitive inférieure à 1,50 m), ne constituant que rarement un nanisme (défini par une taille inférieure de trois déviations standard au moins par rapport à la moyenne pour l’âge).

Lorsque cette petite taille est la seule dysmorphie, associée à une aménorrhée primaire, ce tableau peut en imposer pour un retard simple de la croissance et de la puberté : il s’agit là d’un piège diagnostique classique.

b) Dysmorphie :

Elles est plus évidente à cet âge :

– cou court,

– pterygium colli (plus de 50 % des cas), avec implantation basse des cheveux,

– implantation basse des oreilles,

– bouche aux commissures labiales abaissées (“en chapeau de gendarme”),

– épicanthus possible, hypertélorisme, ptôsis,

– microrétrognathisme,

– thorax large (“en bouclier”) avec mamelons hypoplasiques très écartés,

– cubitus valgus, classique mais sans valeur car physiologique dans le sexe féminin,

– la brachymétacarpie du 4ème doigt, plus visible lorsque le poing est fermé, est parfois évocatrice,

– au niveau de la peau, citons la fréquence des naevi pigmentaires.

c) Anomalies osseuses :

Elles doivent être recherchées de façon systématique :

– au niveau de la main, outre le retard d’ossification, on a décrit de nombreux signes, dont le plus caractéristique constitue le signe d’Archibald : la ligne joignant les têtes des 4ème et 5ème métacarpiens n’est plus tangente à celle du 3ème en raison de la brièveté du 4ème métacarpien, cette brièveté est parfois caricaturale ; on peut retrouver parfois au niveau des pieds une brièveté du 4ème métatarsien,

– au niveau du genou, le signe de l’enclume tibiale, ou signe de Kosowicz est constitué par une déformation de la partie interne de la métaphyse tibiale supérieure, véritable déformation exostosique en forme d’enclume, s’accompagnant parfois d’une inclinaison du plateau tibial interne avec un condyle fémoral interne plus développé en hauteur que l’externe.

d) Malformations viscérales :

Elles touchent essentiellement les reins et le cœur :

– les malformations rénales (40-50 %), mais le plus souvent sans traduction clinique, représentées essentiellement par le rein en fer à cheval, qui expose toutefois aux complications de la stase urinaire ; on remarque parfois des anomalies de position (rein pelvien) ou de nombre (bifidité pyélocalicielle),

– les malformations cardiaques (20-30 %) : dont coarctation de l’aorte (10-15 %) qui peut aboutir à une dissection ou à une rupture de l’aorte, valve aortique bicuspide, veine cave supérieure gauche, et autres malformations ; toute coarctation de l’aorte chez une fille doit faire évoquer un syndrome de Turner.

e) Aménorrhée primaire :

Elle est constante, s’accompagnant d’infantilisme avec absence de caractères sexuels secondaires (organes génitaux externes infantiles, absence de développement mammaire avec aréoles non pigmentées, pilosité axillaire absente et pubienne réduite).

– L’échographie pelvienne révèle l’existence d’un utérus petit, hypoplasique, non stimulé et l’absence de gonades (ovaires réduits à l’état de bandelettes). 

– La cœlioscopie a moins d’intérêt actuellement, elle va montrer à la place des gonades, des bandelettes fibreuses.

– Sur le plan endocrinien : gonadotrophines (FSH, LH) à un taux élevé, estradiol habituellement à un taux bas.

Les thyroïdites auto-immunes sont particulièrement fréquentes (surveiller TSH, T4, anticorps).

Nb : Parfois, certaines formes incomplètes peuvent se présenter comme des aménorrhées primo-secondaires : après une puberté spontanée, plus ou moins complète, suivie de quelques règles. Ce fonctionnement ovarien partiel, dû à la persistance d’un certain nombre d’ovogonies qui n’ont pas disparu pendant la vie intra-utérine peut être à l’origine de grossesses marquées par de nombreux accidents : avortements spontanés répétés, anomalies chromosomiques (X0 et autres), polymalforma­tions et retards mentaux.

f) Intelligence :

Elle est normale.

La débilité mentale ne fait pas partie du syndrome de Turner.

Les hypoacousies par trouble de la perception sont par contre fréquentes pouvant retentir sur les acquisitions.

3) Chez le fœtus :

– C’est le plus souvent l’hygroma kystique cervical, cloisonné, parfois volumineux, réalisant alors la classique “coiffure de pharaon” qui conduit au diagnostic échographique, parfois dès la 16ème SA ; il est souvent associé à un œdème du fœtus avec ascite et oligoamnios. La découverte de cette image échographique est évocatrice du syndrome de Bonnevie-Ullrich et justifie la réalisation d’un caryotype fœtal. L’échographie endovaginale permet d’obtenir des images encore plus précoces.

– En fait il semble bien que les hygromas kystiques volumineux et précoces (début du 2ème trimestre) conduisent de façon inéluctable au décès fœtal : ce n’est que lorsqu’une connexion se produit entre le système lymphatique cervical postérieur et le système jugulaire, que l’hygroma kystique du cou peut disparaître, laissant comme “cicatrice” les petites ailes du cou ou cou palmé (pterygium coli).

– La découverte d’une malformation urinaire et en particulier d’un rein à fer à cheval peut amener au diagnostic anténatal du syndrome de Turner ; cette situation semble en fait plus rare que la découverte d’une coarctation de l’aorte qui semble assez souvent être un signal d’appel surtout lorsque s’y associe un hygroma cervical.

– Fréquence de l’artère ombilicale unique.

5. Caryotype :

1) Monosomie X :

Elle correspond au caryotype 45,X (absence de corpuscule de Barr) : c’est le syndrome turnérien le plus pur, le plus complet et le plus fréquent (plus de la moitié des cas).

On se souviendra que :

– la monosomie X représente 10 % des avortements spontanés précoces alors qu’elle ne se retrouve à la naissance que chez un nouveau-né sur 5.000 ; la quasi-totalité des caryotypes 45,X conduit donc à une fausse couche spontanée,

– l’X perdu est le plus souvent d’origine paternelle, ce qui rend compte du fait que l’âge maternel moyen n’est pas augmenté contrairement à la trisomie 21.

2) Mosaïques sans anomalies de structure de l’X :

Elles représentent la deuxième cause du syndrome de Turner.

– Ces mosaïques habituellement ne comportent pas de chromosome Y : la plus fréquente et de loin, est la mosaïque 45,X/46,XX ; plus rarement on retrouvera : 45,X/46,XX/47,XXX ou 45,X/47,XXX.

Les mosaïques comportant un chromosome Y, beaucoup plus rares, posent des problèmes différents :

– du point de vue clinique elles ne donnent pas toujours des syndromes de Turner et on peut tout rencontrer, du syndrome de Turner typique au phénotype masculin normal,

– du point de vue évolutif : ces anomalies chromosomiques exposent à un risque majeur de gonadoblastome et justifient une résection préventive des gonades.

3) Mosaïques avec anomalies de structure de l’X :

Elles sont également nombreuses. Nous citons les principales d’entre elles.

– L’existence d’un isochromosome pour le bras long de l’X (deux fois le bras long et absence de bras court) est la plus fréquente ; il y a donc une monosomie pour le bras court de l’X et une trisomie pour le bras long ; cela s’écrira : 46,X,i(Xq) ; pterygium colli et coarctation de l’aorte seraient particulièrement rares dans cette forme.

– Le chromosome X en anneau ou r (X) réalise une amputation des deux fragments distaux avec fusions secondaires des deux extrémités ; presque toujours cette anomalie chromosomique est observée en mosaïque : 45,X/46,X,r(X). C’est dans cette seule variété de syndrome de Turner que se rencontrerait un vrai retard mental.

5. Diagnostic prénatal :

– En anténatal, les formes avec malformations associées sont diagnostiquées par échographie obstétricale.

– Les formes sans malformations associées sont de découverte fortuite lors d’une amniocentèse, souvent pour âge maternel tardif. Le conseil prénatal est difficile à gérer dans ces formes mineures.

6. Diagnostic différentiel :

1) Chez le fœtus :

C’est à ce moment que se posent les véritables problèmes car il faudra éviter les pseudo-hygromas, visibles entre 10 et 13 semaines, transitoires, non cloisonnés : ils correspondent en fait à un retard de communication lymphaticojugulaire physiologique.

Mais l’hygroma kystique peut être en rapport avec une authentique aberration chromosomique autre : trisomie 18 et surtout trisomie 21 : c’est dire que le caryotype fœtal est indispensable lors de la découverte de cette image. Mais il pourra être normal et correspondre, en particulier, à un syndrome de Noonan.

Enfin la découverte d’un syndrome de Turner en diagnostic anténatal pose des problèmes éthiques : cela justifie-t-il une interruption médicale de grossesse ?

La réponse à cette question n’est pas simple et peut varier individuellement.

2) Chez l’enfant :

Le syndrome de Noonan, à transmission autosomique dominante, doit être évoqué devant tout phénotype turnérien chez un garçon ou chez une fille turnérienne à caryotype normal.

Dans le syndrome de Noonan, la cardiopathie retrouvée sera une sténose pulmonaire et la dysmorphie différente (fentes palpébrales franchement obliques en bas et en dehors).

7. Evolution – Traitement :

Les enfants atteints du syndrome de Turner bénéficient dans l’enfance d’un traitement par l’hormone de croissance et à la puberté de traitements estroprogestatifs (cycles artificiels) et on observera libido et vie sexuelle normales.

En effet, le traitement va essayer d’améliorer le pronostic statural et de pro­voquer ou compléter le développement pubertaire ; par la suite, une hormonothérapie substitutive doit être instituée en permanence.

– Pour améliorer le pronostic statural (du fait du retard de croissance et de l’évolution vers une petite taille définitive), on utilise l’hormone de croissance (bien qu’il n’existe pas de déficit en GH). Les résultats semblent promet­teurs, à condition de commencer avant un AO de 12 ans et de ne pas avoir utilisé d’œstrogène.

– Dans un deuxième temps, l’hormonothérapie substitutive va permettre le développement des caractères sexuels secondaires et des organes génitaux, provoquer les menstruations et éviter les effets néfastes à long terme de l’hypoestrogénie prolongée, en particulier sur la densification osseuse.

La stérilité est en principe définitive mais l’appareil génital est normal et permet une vie sexuelle satisfaisante.

Par ailleurs, l’ablation des gonades est nécessaire si le caryotype comporte un Y, à cause du risque néoplasique au niveau des gonades.

Enfin, par le biais du don d’ovocytes, certaines turnériennes ont pu réaliser des grossesses normales.

8. Pronostic :

La qualité de vie et l’insertion sociale sont meilleures lorsque la puberté n’a pas été induite trop tardivement et lorsqu’il n’existe ni surdité, ni cardiopathie : la présence d’une surdité peut être responsable de difficultés scolaires et, à l’âge adulte, la présence d’une stérilité peut avoir un effet négatif sur la qualité de vie.

Des espoirs de grossesse apparaissent chez les jeunes femmes grâce aux dons d’ovocytes.

Nombreuses sont les femmes atteintes qui souhaitent avoir un enfant et font alors appel à un don d’ovocytes. Or dans ces conditions la grossesse est à haut risque pour la mère comme pour le fœtus, en particulier sur un plan cardiovasculaire et les patientes doivent en être prévenues.

* Recommandations pour le don d’ovocyte en cas de syndrome de Turner : nécessité de faire un bilan cardiologique avant et au cours de la grossesse, transfert d’embryon unique, donner une information claire à la patiente sur les risques, réaliser une prise en charge spécialisée en maternité de haut niveau durant la gestation et envisager éventuellement une césarienne systématique.

Bon à savoir

● Dans la combinaison génétique XY : le chromosome Y induit la transformation de la gonade primitive en testicule.

Le testicule est responsable chez l'embryon de la transformation des voies génitales indifférenciées en tractus génital mâle.

Sans chromosome Y, pas de testicule, donc pas de développement des canaux de Wolff, pas de régression des canaux de Muller et finalement évolution femelle, de manière spontanée, du tractus génital.

C'est le chromosome Y qui provoque le phénotype masculin.

Sans chromosome Y, le développement de l'embryon se fait sur le mode féminin "par défaut".

● Dans la combinaison génétique XX : le deuxième chromosome X tient sous sa dépendance la différenciation de la gonade primitive en ovaire.

Sans ce deuxième chromosome X, la gonade primitive reste à l'état indifférencié.

⇒ le phénotype est féminin (l'aspect extérieur est celui d'une fille) puisqu'il n'y a pas de chromosome Y ; mais il n'y a pas d'ovaire puisqu'il n'y a pas de deuxième chromosome X…

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