On distingue deux types d’anémies hémolytiques :
– l’anémie hémolytique chronique (avec pâleur, ictère, splénomégalie) et,
– l’anémie hémolytique aiguë (tableau de douleur lombaire ou abdominale atypique, choc et hémoglobinurie).
Du point de vue biologique : l’hémolyse induit une augmentation de la bilirubine libre traduisant le catabolisme de l’hémoglobine et une haptoglobine basse, voire effondrée.
1. Rappels sur l’hémolyse :
L’hémolyse normale est la destruction des globules rouges (GR) arrivés au terme de leur vie circulatoire de 120 jours, associée à la libération puis au catabolisme de l’hémoglobine.
Les GR vieillis disparaissent du torrent circulatoire :
– soit par un mécanisme intratissulaire (85 %) (phagocytose),
– soit par une hémolyse intravasculaire (15 %).
L’hémolyse pathologique amplifie l’un ou l’autre de ces 2 mécanismes.
Il s’agit du raccourcissement de la durée de vie des GR. Il existe de nombreux mécanismes :
– soit par anomalies de la constitution du GR,
– soit par agression que subit le GR vis-à-vis de son environnement.
Cette hémolyse excessive est habituellement accompagnée d’une régénération médullaire ⇒ augmentation du nombre des réticulocytes dans le sang.
Liées à une hyperdestruction des hématies, les anémies hémolytiques (AH) sont suspectées devant l’association :
● d’un syndrome anémique plus ou moins sévère,
● d’un subictère ou d’un ictère franc,
● et d’une splénomégalie habituellement modérée.
2. Physiologie :
Hémolyse physiologique : au terme de 120 jours, le GR sera phagocyté par les macrophages de la moelle osseuse ++, de la rate et du foie.
Sa membrane éclate et libère l’hémoglobine (molécule qui permet le transport de l’oxygène vers les tissus).
3. Physiopathologie :
Il existe 2 grands mécanismes d’hémolyse, correspondant aux 2 endroits où les GR ont détruits :
– à l’intérieur du système réticulo-endothélial (moelle osseuse, foie, rate) : hémolyse intratissulaire,
– à l’intérieur des vaisseaux : hémolyse intravasculaire.
On distingue 2 types d’hémolyse :
1) Hémolyse intratissulaire :
Prépondérante à l’état normal (85 %), elle est assurée par les macrophages de la moelle osseuse, de la rate et du foie.
Une suite de réactions va dissocier l’Hb en globine et en hème :
– la globine est dégradée (catabolisme des protéines),
– le fer de l’hème est recyclé dans l’érythropoïèse ou stocké dans les macrophages,
– l’hème est dégradé par l’hème-oxydase pour produire la biliverdine (structure tétrapyrrolique fermée) puis la bilirubine (ouverture de l’anneau tétrapyrrolique et formation d’une structure linéaire).
– La bilirubine est d’abord appelée « libre » : soluble dans les graisses mais insoluble dans l’eau, elle est libérée hors des macrophages et véhiculée dans le plasma par l’albumine, qui la transporte jusqu’aux hépatocytes,
– la bilirubine est glycuroconjuguée dans les hépatocytes (2 molécules de glycuronide / molécule de bilirubine), et devient soluble,
– la bilirubine est ensuite excrétée par la bile dans le duodénum où elle est transformée en stercobiline (éliminée dans les selles) et en urobilinogène et urobiline dont une partie (15 %) est réabsorbée (cycle entéro-hépatique) et finalement éliminée dans les urines.
Au cours de l’hémolyse la quantité de bilirubine libre sérique augmente.
Remarques :
La bilirubine libre peut se solubiliser dans les lipides du tissu cérébral et exercer un effet toxique (voir « maladie hémolytique du nouveau-né »), provoquant l’ictère nucléaire ; la photothérapie modifie la structure spatiale de la bilirubine libre et la rend hydrosoluble.
2) Hémolyse intravasculaire :
Représente environ 15 % de l’hémolyse physiologique, par lyse osmotique des GR vieillis ou fragmentation dans les capillaires de taille réduite.
L’hémoglobine libre se fixe à l’haptoglobine (Hp), synthétisée par le foie.
La demi-vie de l’Hp libre est de 4-5 jours dans le plasma, alors que celle du complexe Hp-Hb est < 30 minutes (élimination hépatique avec catabolisme des 2 protéines).
Valeur normale de l’haptoglobine sérique de l’adulte = 0,7 – 2,5 g/l.
Dans l’hémolyse intratissulaire : l’Hp est très basse (0,1 – 0,5 g/l), et dans d’hémolyse intravasculaire : l’Hp peut disparaître totalement du plasma (< 0,03 g/l) ⇒ l’Hb libre est alors en partie captée par les hépatocytes et en partie dissociée en dimères alpha-bêta qui traversent le filtre glomérulaire rénal où ils sont partiellement réabsorbés.
La réabsorption est limitée et l’excès d’Hb libre peut provoquer une hémoglobinurie et une tubulopathie (qui avec l’état de choc induit l’insuffisance rénale aiguë).
[les cellules épithéliales rénales ingèrent de l’Hb et la catabolisent, stockant le fer : après quelques semaines on peut visualiser ce fer dans les cellules desquamées du sédiment urinaire par coloration de Perls (= hémosidérinurie) ; utile lors de crises hémolytiques intermittentes ou pour apprécier des pertes de fer urinaire].
L’hème peut se fixer également à l’albumine et à l’hémopexine (glycoprotéine synthétisée par le foie) ; le complexe hémopexine – hème est capté par les hépatocytes : l’hémopexine est libérée du complexe et retourne dans le plasma tandis que l’hème est dégradé.
► Pour plus de détails sur l’hémoglobine : Cf chapitre spécial
4. Etude clinique :
L’expression clinique de l’hémolyse excessive est variable :
– soit chronique, parfois inapparente ou limitée à une pâleur, asthénie, ictère ± franc et urines foncées (= excès d’urobiline) ; elle correspond à une hémolyse intratissulaire ; l’anémie est parfois absente, compensée par la régénération médullaire (Nb de réticulocytes élevé),
– soit aiguë, bruyante, avec hyperthermie et frissons, malaise intense, nausées, douleurs abdominales, douleurs lombaires, pâleur intense et signes d’anémie aiguë, avec difficultés d’adaptation cardio-respiratoire pouvant conduire à un état de choc (pouvant précéder le coma), correspondant à une déglobulisation massive ; elle correspond à une hémolyse intravasculaire et constitue une urgence médicale. Le contexte doit être précisé impérativement.
5. Diagnostic biologique :
H. intratissulaire(tableau chronique) | H. intravasculaire(tableau aigu) |
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* Biologie :a) Hémogramme :. Anémie modérée et parfois absente (hémolyse compensée par la régénération médullaire : nombre élevé de réticulocytes, > 150 G/l).
| * Biologie :a) Hémogramme :. Anémie normochrome normocytaire, d’importance variable (modérée à majeure). . Numération des réticulocytes (augmentation 3-5 jours après le début de l’hémolyse). En cas d’hémolyse intense, présence d’érythroblastes dans le sang circulant (en parallèle de l’hyper-réticulocytose). Morphologie érythrocytaire : anormale dans certains cas (rechercher au moins les schizocytes). Leucocytes et plaquettes : pas de particularités (parfois augmentation dite d’entraînement lors des fortes poussées d’hémolyse), parfois thrombopénie si CIVD associée.
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Nb : L’haptoglobine est une protéine hépatique qui fixe l’hémoglobine libre et qui est utilisée comme marqueur d’hémolyse intravasculaire.
Hémolyse IV ⇒ existence de gros complexes (Hb-Hp) filtrés par les reins ⇒ douleurs lombaires ++, puis ces complexe sont éliminés par les urines ⇒ couleur foncée des urines ++.
– Des niveaux bas ou nuls d’haptoglobine sérique se rencontrent lors d’une hémolyse intravasculaire mais aussi lors d’une insuffisance hépatique.
– A l’inverse, des niveaux augmentés d’haptoglobine se rencontrent dans les états inflammatoires étant donné que l’haptoglobine est une protéine de phase aiguë.
6. Etiologies des anémies hémolytiques :
1) Anémies hémolytiques congénitales (corpusculaires) :
● anomalies de la membrane (microsphérocytose héréditaire ou maladie de Minkowski-Chauffard, elliptocytose familiale),
● déficits enzymatiques (en PK ou en G6PD),
● anomalies de l’hémoglobine :
– défaut qualitatif d’une chaîne de la globine (drépanocytose et autres hémoglobinoses),
– défaut quantitatif d’une ou des chaînes de la globine (thalassémies) : alpha-thalassémie et bêta-thalassémie.
2) Anémies hémolytiques acquises (extra-corpusculaires) : Cf chapitre spécial
● Anémies hémolytiques immunologiques :
– Anémies hémolytiques auto-immunes (AHAI),
– Autres anémies hémolytiques immunologiques.
● Anémies hémolytiques non immunologiques : Cf chapitre spécial
Quelques questions
1. Une anémie hémolytique auto-immune est toujours idiopathique.
Faux.
Les AHAI ne sont ou ne restent, lorsqu'elles sont suivies pendant plusieurs années, idiopathiques que dans 50 % des cas environ, voire beaucoup moins dans certaines séries. La possibilité d'une maladie associée doit donc être systématiquement évoquée devant toute AHAI.
2. La seule constatation d'un test de Coombs positif permet de porter le diagnostic d'AHAI.
Faux.
La positivité du test de Coombs signifie seulement que les hématies sont sensibilisées par des immunoglobulines ; ceci peut résulter d’une allo-immunisation (maladie hémolytique du nouveau-né, transfusions incompatibles) ou d’une auto-immunisation. Dans ce dernier cas, avant de parler d’anémie hémolytique, il faut s’assurer qu’il existe bien une hyperhémolyse (hyperréticulocytose, augmentation de la bilirubine non conjuguée, du taux de LDH, diminution ou effondrement du taux d’haptoglobine), parfois compensée. Il existe en effet un certain nombre de circonstances au cours desquelles le test de Coombs est positif sans hémolyse (on parle d’auto-immunisation anti-érythrocytaire) : cirrhoses, syndromes lymphoprolifératifs, maladies de système…
3. La constatation de schizocytes sur le frottis sanguin permet d'affirmer la nature mécanique d'une maladie hémolytique.
Vrai.
La recherche d'anomalies morphologiques des hématies est une des étapes du diagnostic étiologique des anémies hémolytiques. Ainsi, la présence de schizocytes, hématies fragmentées de forme et de taille différentes, traduit toujours un obstacle mécanique contre lequel se heurtent les globules rouges. Celui-ci peut être cardiaque (prothèse valvulaire ou rétrécissement aortique calcifié) ou bien une microangiopathie ; dans ce dernier cas, il existe souvent une thrombopénie de consommation.
4. Une AHAI est très fréquente chez les patients traités par l'alphaméthyldopa (Aldomet ®).
Faux.
Si la constatation d’un test de Coombs positif est relativement fréquente au cours des traitements par l'Aldomet ® (10 à 25 % des malades dans certaines séries), par contre la survenue d’une anémie hémolytique est un événement beaucoup plus rare (1 % des patients environ) ; l'arrêt du traitement est alors impératif, mais l'utilité de la corticothérapie est discutée.
5. Au cours d'une AHAI, l'absence de réponse après trois semaines de corticoïdes permet de conclure à l'échec du traitement.
Faux.
Si dans certains cas, l'hyperhémolyse est contrôlée après deux à trois semaines de prednisone (1 à 1,5 mg/kg/jour), l’amélioration est bien souvent plus tardive, requérant deux voire trois mois, sans que l’on doive parler de corticorésistance. Il est des situations, notamment chez le sujet âgé, où le maintien de telles doses de corticoïdes est difficile et dans lesquelles on peut être amené à adjoindre précocement un traitement immunosuppresseur (Endoxan ® par exemple) afin de pouvoir diminuer plus rapide la corticothérapie.
