La drépanocytose (ou hémoglobinose S ou anémie falciforme) est une maladie génétique héréditaire qui touche l’hémoglobine (hémoglobinopathie) caractérisée par la présence conjointe de globules rouges en forme de faucille et d’une anémie hémolytique chronique.
C’est une affection extrêmement fréquente (une centaine de millions dans le monde).
Elle touche presque exclusivement la race noire (Antilles, noirs d’Amérique, Afrique subsaharienne, inde) et certaines populations blanches (Afrique du Nord : Algérie 2 %).
La drépanocytose est en France la principale hémoglobinopathie rencontrée en pratique médicale.
La maladie est transmise selon le mode autosomique récessif.
Dans la drépanocytose, les globules rouges contiennent une forme anormale d’hémoglobine appelée hémoglobine S.
Lorsque les globules rouges contiennent une grande quantité d’hémoglobine S, ils peuvent prendre la forme d’une faucille, moins souple que la forme normale. Tous les globules rouges n’ont pas une forme de faucille.
Les globules en forme de faucille deviennent plus nombreux lorsque la personne atteinte contracte une infection ou a un faible taux d’oxygène dans le sang.
Ces globules rouges en faucille sont fragiles et se rompent facilement ; étant aussi plus rigides, ils ont du mal à se déplacer dans les plus petits vaisseaux (capillaires), ce qui obstrue la circulation sanguine. L’obstruction de la circulation sanguine peut provoquer des douleurs et, au fil du temps, causer des lésions à la rate, aux reins, au cerveau, aux os et à d’autres organes. Cela peut aller jusqu’à une insuffisance rénale ou cardiaque.
Le diagnostic repose sur l’électrophorèse de l’Hb.
1. Physiopathologie :
La drépanocytose est une affection génétique due à une mutation dans le gène codant la chaîne β de la globine ; elle est caractérisée par la substitution de l’acide glutamique en position 6 par une valine : il en résulte une hémoglobine anormale (HbS) (S pour sickle, “faucille”).
L’hémoglobine S déforme les hématies en faucille (drépanocytes), les fragilise (d’où l’anémie) et les rigidifie (d’où des accidents vaso-occlusifs).
* Propriétés physico-chimiques anormales :
Dans certaines conditions (hypoxie) : l’hémoglobine S précipite et les précipités d’hémoglobine vont se polymériser et s’accoler en une chaîne incurvée extrêmement rigide ⇒ la membrane du globule rouge adopte cette forme (perte de déformabilité). Il en résulte :
1) une hémolyse de type intratissulaire (par fragilité des drépanocytes),
2) En cas d’hypoxie très sévère (séjours en altitude, voyage en avion, anesthésie générale, accès palustres toutes les infections sévères, intoxication alcoolique aiguë) (falciformation importante) : les drépanocytes vont obstruer tous les microcapillaires ⇒ nécrose (infarctus viscéraux multiples) ⇒ crise drépanocytaire.
1) Aggravations aiguës :
Des poussées aiguës (crises) surviennent par intermittence, souvent pour une raison inconnue. Dans certains cas, la crise semble être déclenchée par :
– une fièvre,
– une infection virale,
– un traumatisme local.
La crise vaso-occlusive est la plus fréquente ; elle est provoquée par une ischémie, l’hypoxie et l’infarctus tissulaire, typiquement de l’os, mais aussi de la rate, du poumon, ou du rein.
Les crises aplasiques apparaissent lorsque l’érythropoïèse médullaire diminue au cours d’infections aiguës par le parvovirus humain pendant lesquelles une érythroblastopénie sévère peut apparaître.
Le syndrome thoracique aigu résulte d’un embole microvasculaire et est une cause fréquente de mort, avec une mortalité pouvant atteindre 10 %. Il est observé dans toutes les classes d’âge, mais plus fréquemment dans l’enfance.
La répétition des épisodes prédispose à l’hypertension artérielle pulmonaire chronique.
Chez l’enfant, la séquestration aiguë de drépanocytes dans la rate, peut se produire, aggravant l’anémie.
Le priapisme, une complication sérieuse qui peut entraîner des troubles de l’érection, est fréquent chez l’homme jeune.
Une séquestration hépatique avec hépatomégalie peut se produire.
2) Complications :
Une lésion splénique chronique peut aboutir à un auto-infarctus et augmente la susceptibilité aux infections (en particulier pneumococciques). Ces infections sont particulièrement fréquentes pendant la petite enfance et peuvent être mortelles.
L’ischémie récurrente et l’infarctus peuvent causer un dysfonctionnement chronique de plusieurs organes. Les complications comprennent des AVC ischémiques, des convulsions, des nécroses avasculaires de hanche, des insuffisances rénale et cardiaque, des fibroses, des hypertensions pulmonaires et une rétinopathie.
3) Hétérozygotes :
Les hétérozygotes (Hb AS) ne font pas d’hémolyse ou de crises douloureuses. Cependant, ils ont un risque accru de maladie rénale chronique et d’embolie pulmonaire. En outre, une rhabdomyolyse et une mort subite peuvent survenir pendant un exercice physique intense et prolongé.
2. Symptomatologie :
Cliniquement : il existe deux formes :
– forme homozygote (les deux gênes β sont mutés) : extrêmement grave, elle se révèle dès l’enfance, mortelle à l’âge de 20 ans,
– forme hétérozygote : pratiquement asymptomatique.
1) Forme homozygote :
Tableau d’hémolyse intratissulaire (fond chronique de l’affection), qui est entrecoupé de crises drépanocytaires (ou crise vaso-occlusive douloureuse).
En effet, toute situation qui provoque une consommation accrue d’oxygène, comme l’exercice physique intense, l’alpinisme, le vol en altitude sans suffisamment d’oxygène, ou une maladie, peut déclencher une crise drépanocytaire.
Une crise de douleur drépanocytaire est un épisode d’aggravation des symptômes qui se caractérise par l’aggravation soudaine de l’anémie, l’apparition de douleurs parfois intenses :
– crises douloureuses abdominales +++ (avec ou sans vomissement), évoquant une urgence chirurgicale (territoires mésentériques),
– crises douloureuses osseuses d’allure pseudo-rhumatismale évoquant à tort un RAA, et se compliquant par ailleurs de nécrose de la tête fémorale ou d’ostéomyélite récidivante,
– douleurs spléniques dues à des infarctus répétés qui détruisent la rate (la splénomégalie va progressivement disparaître. Vers 4-5 ans, il n’y a plus de splénomégalie : fibrose complète de la rate) ⇒ hépatomégalie progressive,
– de la fièvre et parfois une gêne respiratoire,
– parfois il s’agit d’un syndrome thoracique aigu (provoqué par l’obstruction des capillaires des poumons et est plus fréquent chez les enfants) : apparition soudaine de fièvre, d’une douleur thoracique sévère, de difficultés à respirer. Téléthorax : infiltrats pulmonaires. Il peut faire suite à une pneumopathie bactérienne. Ce syndrome thoracique aigu peut être mortel.
* Evolution : extrêmement sévère.
La mort survient généralement avant l’âge de 20 ans (pays en voie de développement), soit à cause des crises aiguës drépanocytaires, soit à cause des complications infectieuses (sujets sensibilisés aux infections car il existe une auto-splénectomie).
2) Forme hétérozygote (trait drépanocytaire) :
Il s’agit de sujets asymptomatiques (et qui n’ont pas d’anémie), qui font quelques crises aiguës en cas d’hypoxie très sévère.
Les globules rouges des personnes porteuses du trait drépanocytaire ne sont pas fragiles et ne se détruisent pas facilement.
Le trait drépanocytaire n’entraîne pas de crises douloureuses, mais il arrive, bien que rarement, qu’une personne atteinte décède brutalement au cours d’un exercice physique intense qui engendre une déshydratation sévère, par exemple lors d’entraînements militaires ou sportifs.
Ces personnes présentent un risque accru d’insuffisance rénale chronique et d’embolie pulmonaire. Dans de rares occasions, il se peut qu’elles présentent une hématurie.
Le diagnostic repose sur le test de falciformation et sur l’électrophorèse de l’hémoglobine.
3. Diagnostic :
La découverte, chez une personne jeune de race noire, d’une anémie, de douleurs abdominales et des os peut être le signe d’une crise drépanocytaire.
Biologie : l’hémogramme : anémie normochrome normocytaire régénérative.
Biochimie : hémolyse intratissulaire.
Diagnostic : il repose sur 3 éléments :
1) Notion familiale et origine ethnique ;
2) Mise en évidence des drépanocytes :
– soit par le frottis de sang périphérique, qui peut ne montrer que peu de drépanocytes et des fragments de GR lésés.
– soit par le test de falciformation (reproduire artificiellement le phénomène : GR dans une atmosphère pauvre en oxygène) ;
3) Electrophorèse de l’hémoglobine : hémoglobine S (anormale) :
– Drépanocytose homozygote (HbS/HbS) : l’hémoglobine S est majoritaire (80 à 90 % d’hémoglobine S), l’hémoglobine F est en proportion variable (d’1 à 20 %) l’hémoglobine A2 normale (2 à 3 %).
– Drépanocytose hétérozygote (HbS/HbA) : A l’électrophorèse on note : 35 à 45 % d’hémoglobine S (mais il y a de plus d’Hb A que d’Hb S).
4) Autres examens :
– La biopsie ostéomédullaire n’est pas utilisée pour le diagnostic ; si elle est effectuée pour éliminer d’autres anémies, elle montre une hyperplasie, avec prédominance des érythroblastes ; la moelle osseuse peut devenir aplasique au cours de périodes de falciformation ou d’infections sévères.
– La VS, si elle est demandée pour éliminer d’autres troubles (ex : polyarthrite rhumatoïde de l’enfant, qui déclenche des douleurs aux mains et aux pieds), est basse.
– Des radios du squelette, si elles sont demandées pour une autre raison, peuvent montrer au niveau du crâne un élargissement du diploé et un aspect en “poils de brosse” des travées osseuses. Les os longs montrent souvent un amincissement des corticales, des irrégularités de densité et des signes de néoformation osseuse au niveau du canal médullaire.
4. Dépistage :
1) Dépistage prénatal :
Il est recommandé pour les familles à risque de drépanocytose (ex : couples ayant des antécédents médicaux ou familiaux d’anémie ou d’origine ethnique évocatrice).
On utilise la technique de la PCR en temps réel avec des sondes d’hybridation permettant la recherche conjointe des mutations.
Les prélèvements d’ADN peuvent être obtenus par biopsie du trophoblaste de 9 à 12 SA, ou bien par amniocentèse précoce (avant 20 SA).
Le diagnostic est important pour le conseil génétique.
2) Dépistage chez le nouveau-né :
Le dépistage universel est actuellement recommandé et fait partie de la batterie de tests de dépistage néonatal.
Pour distinguer les Hb F, S, A et C, le test recommandé est l’électrophorèse de l’Hb.
Le test doit être répété à l’âge de 3 à 6 mois pour confirmation.
3) Dépistage chez les enfants et les adultes :
– Les patients qui présentent des antécédents familiaux de drépanocytose ou de trait drépanocytaire doivent être testés par un frottis périphérique et une électrophorèse de l’Hb.
– En présence de symptômes évoquant la maladie ou ses complications (ex : faible croissance, douleur osseuse aiguë et inexpliquée, nécrose aseptique de la tête fémorale, hématurie inexpliquée), de même que chez un patient noir souffrant d’anémie normocytaire (en particulier en présence d’une hémolyse), des examens doivent être effectués à la recherche d’une anémie hémolytique, ainsi qu’une électrophorèse de l’Hb, et des tests de falciformation des globules rouges.
4. Pronostic :
L’espérance de vie des patients homozygotes a régulièrement augmenté, jusqu’à plus de 50 ans actuellement.
Les causes fréquentes de mort sont le syndrome thoracique aigu, les infections intercurrentes, les embolies pulmonaires, l’infarctus d’un organe vital et l’insuffisance rénale aiguë.
5. Traitement :
Le traitement vise à :
– Prévenir les crises ;
– Contrôler l’anémie ;
– Traitement des crises et des affections qui les produisent.
* Antibiotiques à large spectre (dans les infections bactériennes graves) ;
* Antalgiques et hydratation IV (pour les crises de douleurs vaso-occlusives) : les crises douloureuses sont traitées par des antalgiques à bonnes doses, habituellement des opiacés.
La morphine IV (en continu ou en bolus) est efficace et sûre.
Pendant les crises, les douleurs et la fièvre peuvent persister jusqu’à 5 jours.
Les AINS sont souvent utiles pour réduire les besoins en opiacés ; cependant, ils doivent être utilisés avec prudence en cas de maladie rénale.
* Parfois, transfusions sanguines : une transfusion simple peut être réalisée lorsque l’objectif est de corriger l’anémie, comme lors d’une crise aplasique ou d’une séquestration splénique.
De même, une transfusion très rapidement (bonne oxygénation) est indiquée en cas de crise drépanocytaire, car le phénomène de falciformation est réversible au tout début.
La transfusion d’échange est effectuée au cours d’autres événements aigus afin de diminuer le pourcentage de Hb S et de prévenir l’ischémie. Elle peut être effectuée avec des machines de plasmaphérèse modernes.
La transfusion apporte l’hémoglobine A… qui inhibe la falciformation : voir ci-dessous :
* Autres traitements :
Les traitements suivants ont réduit la mortalité à long terme, en particulier pendant l’enfance :
– Les vaccins antipneumococcique, antiméningocoque, anti-Haemophilus influenzae et anti-influenza (inactivé, non vivant) ;
– L’identification et le traitement rapides des infections bactériennes sérieuses ;
– L’antibioprophylaxie continue par pénicilline administrée per os de 4 mois à 6 ans (Oracilline ®) ;
– L’utilisation de la supplémentation en acide folique et l’hydroxyurée :
. Une supplémentation en folates, 1 mg per os 1 fois/jour, est habituellement prescrite.
. En augmentant le taux d’Hb fœtale et en réduisant ainsi la falciformation, l’hydroxyurée diminue le nombre de crises hyperalgiques (de 50 %), de syndromes thoraciques aigus, ainsi que les besoins transfusionnels. Elle est indiquée en cas de crises douloureuses récurrentes ou d’autres complications.
L’hydroxyurée est leucémogène et provoque une neutropénie et une thrombopénie. C’est également un agent tératogène et elle ne doit pas être administrée aux femmes en âge de procréer.
* Les indications d’hospitalisation sont les suspicions d’infections graves (dont les infections systémiques), les crises aplasiques, les syndromes thoraciques aigus et, souvent, la douleur rebelle ou la nécessité de transfusions.
La fièvre à elle seule peut ne pas être une raison d’hospitaliser. Cependant, les patients qui paraissent gravement malades et dont la température est > 38° C doivent être hospitalisés afin que les cultures puissent être obtenues à partir de plusieurs zones, et des antibiotiques administrés en IV.
* Prévenir les crises drépanocytaires :
Les personnes atteintes de drépanocytose doivent éviter les activités qui augmentent les besoins en oxygène et consulter rapidement en cas d’affections, même bénignes, telles que les infections virales.
* La greffe de cellules-souches hématopoïétiques reste le seul traitement curatif de la drépanocytose.
Compte tenu des risques associés à cette thérapie, elle est généralement limitée aux patients présentant des complications de la maladie à un stade avancé.
* La thérapie génique constitue un espoir de guérison, elle est actuellement à l’étude ; elle permettrait d’introduire le gène normal dans des cellules précurseurs.
Points clés
– Les patients homozygotes pour l’HbS ont une chaîne bêta anormale, entraînant la formation de globules rouges relativement rigides et fragiles qui peuvent boucher les capillaires, provoquer un infarctus tissulaire, et qui sont sujets à l’hémolyse, provoquant ainsi une anémie.
– Les patients présentent diverses exacerbations aiguës dont des crises douloureuses, des crises de séquestration, des crises aplasiques, et des syndromes thoraciques aigus.
– Diagnostic par électrophorèse de l’Hb.
– Les conséquences à long terme comprennent une hypertension pulmonaire, une maladie rénale chronique, un AVC, une nécrose aseptique, et un risque accru d’infection.