La bêta-thalassémie (BT) est une maladie génétique due à une anomalie du gène qui code la fabrication d’une partie de l’hémoglobine, la chaîne bêta.

Il s’agit de la plus fréquente des thalassémies.

Les différentes formes de bêta-thalassémie conduisent à une anémie ± importante associée à différents symptômes : pâleur, fatigabilité, essoufflement, augmentation du volume du foie et de la rate, problèmes de croissance…

1. Epidémiologie :

La bêta-thalassémie est principalement présente sur le bassin méditerranéen (thalassa = mer), mais aussi le Moyen-Orient, l’Asie du Sud-Est, les Antilles et plus rarement l’Afrique (de l’Ouest). Incidence en Algérie : 3 %.

Elle est encore plus rare en Europe et en Amérique du Nord où elle toucherait une personne sur 200.000.

La transmission est autosomique récessive.

Le diagnostic et la prise en charge des enfants atteints de bêta-thalassémie se font dans des services de pédiatrie ou d’hématologie pédiatrique, celui des adultes est réalisé dans les services de médecine interne ou d’hématologie.

2. Physiopathologie :

1) Aspects moléculaires :

Il existe un seul gène β sur chaque chromosome 11.

On connaît actuellement plus de 200 anomalies génétiques différentes atteignant le gène β : la plupart correspondent à des mutations ponctuelles.

Selon la localisation de la mutation sur le gène, on observe :

– soit une absence totale de synthèse de β globine (β0),  

– soit une diminution ± forte de synthèse de β globine (β+).

Nb : Si les β thal sont essentiellement liées à des mutations ponctuelles, il en existe aussi quelques unes liées à une délétion du gène (à l’inverse, les α  thal sont essentiellement liées à une délétion ± importante des gènes alpha, et rarement à une mutation). 

2) Conséquences pour l’érythropoïèse :

a) Chez un patient β-thal majeur : 

Les anomalies génétiques induisent une diminution ou une absence de production de chaîne β alors que la production des chaînes α est normale.

En effet, les patients ont les 2 gènes de β globine mutés ; on définit les :

                β0 thal = absence totale de synthèse de chaîne β (absence d’HbA dans le sang),

                β+ thal = synthèse modérée de chaîne β (présence d’un peu d’HbA dans le sang).

Les chaînes α en excès s’associent en tétramères α4 instables, qui s’oxydent et précipitent dans le cytoplasme des érythroblastes, et exercent une pression suffisante pour déformer la membrane ⇒ hémolyse intratissulaire (IT).

– L’anémie est importante, et les rares GR produits contiennent de l’HbF, qui a une affinité accrue pour l’O2 (par rapport à l’HbA) : ces deux faits s’additionnent pour provoquer une hypersécrétion d’EPO, qui en retour stimule l’érythropoïèse ; dysérythropoïèse + excès d’EPO aboutissent à une hyperstimulation de l’érythropoïèse (jusqu’à 30 fois la normale) : le volume osseux occupé par l’hématopoïèse augmente et provoque progressivement des déformations squelettiques.

– Les rares GR produits contiennent aussi des chaînes α précipitées et sont détruits plus précocement dans la rate : cette destruction (hémolyse) excessive explique la splénomégalie, puis sa conséquence = l’hypersplénisme ;

– L’érythropoïèse inefficace, une absorption intestinale excessive de fer et l’hémolyse induisent progressivement une surcharge en fer ;

– En outre des altérations membranaires des érythroblastes (liées aux précipités de chaînes α) libèrent des lipides à effet procoagulant et prothrombotique.

b) Chez un patient β-thal mineur :

La diminution de synthèse d’Hb se traduit seulement par la production d’hématies de taille réduite (VGM diminué) et un peu hypochromes.

3. Symptomatologie :

Il existe trois formes de bêta-thalassémie :

– la forme mineure (ou trait bêta-thalassémique) est la forme hétérozygote (mutation sur un seul gène), généralement asymptomatique.

– la forme majeure (ou maladie de Cooley) est la forme homozygote (deux gènes atteints), qui est grave, et associe une splénomégalie à une anémie hypochrome microcytaire résultant d’une dysérythropoïèse et d’une hémolyse, et qui débute à la fin de la première année de vie, quand la synthèse de chaînes β de l’hémoglobine adulte remplace les chaînes γ de l’hémoglobine fœtale.

Le nourrisson pâle et subictérique a un visage mongoloïde, une grosse rate, un aspect en poils de brosse des os du crâne à la radiographie.

L’anémie sévère nécessite des transfusions récurrentes pour maintenir les taux d’Hb au-delà de 9-10 g/dl et permettre une activité normale.

– la forme intermédiaire (BTI) où l’anémie moins sévère est diagnostiquée plus tardivement que dans la forme majeure.

1) Béta-thalassémie majeure (ou maladie de Cooley) :

Le diagnostic est évoqué le plus souvent au décours d’un programme de dépistage de la drépanocytose (qui détecte également les β-thal majeures).

Absence d’anémie à la naissance : l’anémie apparaît progressivement 3 à 6 mois après la naissance et devient progressivement sévère (l’HbF n’est pas remplacée par l’HbA).

a) Chez le patient non pris en charge pendant la petite enfance (transfusions absentes ou inadéquates) :

– apparition des signes d’hémolyse intratissulaire qui deviendront extrêmement sévères (anémie, subictère ou ictère, très grosse splénomégalie…), 

– retard de croissance important ;

– déformations osseuses progressives par expansion des espaces intramédullaires (secondaire à l’érythropoïèse excessive) [aspect particulier des os : faciès mongoloïde, et à l’imagerie une voûte crânienne en “poils de brosse”] ;

– splénomégalie et hépatomégalie de + en + volumineuses, avec hypersplénisme important ;

– mortalité accrue avant 2 ans en l’absence de transfusions ;

– s’ils n’ont pas été transfusés de manière adéquate, bon nombre d’enfants meurent avant la puberté.

Le diagnostic de β-thal majeure est habituellement porté entre 6 et 24 mois

b) Chez le patient pris en charge précocement et régulièrement transfusé :

La splénomégalie apparaît mais reste modérée, et la croissance ± normale.

– Vers la puberté, l’enfant ayant reçu une chélation martiale efficace entre dans la vie adulte avec une splénomégalie modérée et va poursuivre un développement presque normal.

– L’enfant qui n’a pas reçu une chélation martiale efficace va développer les signes de surcharge en fer (complications endocrines, cardiaques, hépatiques) et le décès est habituel vers 20 – 30 ans par insuffisance cardiaque.

2) Bêta-thalassémie intermédiaire :

La maladie est cliniquement hétérogène :

– anémie cliniquement peu marquée, habituellement découverte plus tardivement (vers 2 – 4 ans), et absence de dépendance transfusionnelle ;

– on retrouve les critères cliniques des β-thal majeures : anomalies osseuses, splénomégalie, ictère ;

– mais le développement staturo-pondéral est normal.

3) Bêta-thalassémie mineure ou trait thalassémique (bien plus fréquente) : 

Elle est le plus souvent asymptomatique et la tare est de découverte biologique (à l’occasion d’une NFS)…

Dans certains cas, le sujet peut présenter un tableau d’hémolyse intratissulaire chronique atténué :

– anémie : inconstante, peu marqué si elle existe (10 à 12 g/dl). Il peut même y avoir une polyglobulie (GR > 6 M) ;

– hémolyse : elle est discrète, et est aggravée lors de certaines conditions pathologiques (malnutrition, infection chronique) ou pendant la grossesse ;

– la splénomégalie est souvent absente ;

– ictère : inconstant.

4. Diagnostic :

1) Béta-thalassémie majeure :

a) Hémogramme :

– Anémie sévère (Hb = 4 – 7 g/dl), hypochrome, microcytaire, hypersidérémique, régénérative.

– Sur frottis : nombreuses anomalies : anisocytose, poikylocytose, microcytose et hypochromie.

b) Myélogramme :

Peu utile au diagnostic.

Il montrerait une grande hyperplasie érythroblastique avec dysérythropoïèse : présence d’une région claire dans le cytoplasme des érythroblastes, correspondant à la chaîne α précipitée).

Les histiocytes macrophages sont nombreux et surchargés en fer.

c) Electrophorèse de l’hémoglobine :

β0 thalassémie :             Hb A = 0 %                          HbF = 90 – 95 %                          Hb A2 = 3,5 – 7 %

β+ thal (et hétérozygote composite (β0/β+) :    Hb A = 5 – 45 %      Hb F = 50 à 80 %      Hb A2 = 3,5 – 7 %

[S’interprète après avoir éliminé les causes acquises d’augmentation d’Hb A2 : hyperthyroïdie, traitements antirétroviraux, carence B9/B12, pseudoxanthome élastique].

d) Autres :

– Bilan d’hémolyse perturbé : bilirubine libre, LDH sont augmentées ; haptoglobine diminuée (hémolyse intramédullaire, et plus modérément splénique).

– Sidérémie et ferritinémie élevées (= différences avec la carence martiale).

– Recherche de corps de Heinz (coloration avec le cristal violet) positive : précipitation de l’excès de chaînes α normales dans les GR.

beta thalassemie

2) Bêta-thalassémie intermédiaire :

a) Hémogramme :

Hémoglobine : 7,5 – 12 g/dl,

Hypochromie modérée : CCMH = 29-31 g/dl.

Réticulocytes < 120 G/L

Sur frottis : quelques cellules cibles associées à qq hématies en larme et qq hématies ponctuées ; anisopoïkilocytose absente ou modérée. Parfois 1-2 % d’érythroblastes.

b) Electrophorèse de l’hémoglobine :

Se rapproche de celle des β+ thal (Cf supra).

Pour les E/b thal : on retrouve HbF (10-80 %), HbE, HbA2, et un peu de HbA si mutation β+.

3) Bêta-thalassémie mineure : 

a) Hémogramme :

Il objective soit une anémie modérée (10 à 12 g/dl), microcytaire, hypochrome, normo ou hypersidérémique, soit une “pseudo-polyglobulie” (5,5 à 6,5 T/L) microcytaire où le nombre des GR est augmenté et l’hémoglobine normale.

Réticulocytes < 120 G/L

Sur frottis : quelques cellules cibles associées à qq hématies en larme et qq hématies ponctuées ; anisopoïkilocytose absente ou modérée. Parfois 1-2 % d’érythroblastes.

b) Electrophorèse de l’hémoglobine :

Adulte : HbF = 1-2 %   ;  HbA2 : augmentée (elle est 2 deux fois plus élevée que la normale : entre 4 et 7 % au lieu de 2 à 3,3 %).

Il existe souvent une augmentation de l’absorption digestive du fer, qui aggrave la surcharge en fer chez les patients présentant par ailleurs un gène d’hémochromatose.

En cas de carence martiale associée (rare), il y a diminution de synthèse de toutes les chaînes, et le profil électrophorétique peut redevenir transitoirement normal. A contrôler après correction du déficit en fer.

Un conseil génétique en pays d’endémie peut être proposé : un taux d’HbA2 > 3,5 % et un hémogramme avec microcytose suffisent à détecter un porteur hétérozygote de β thalassémie.

5. Evolution – pronostic :

– L’évolution naturelle est marquée par l’augmentation de l’hépatosplénomégalie, la survenue d’une insuffisance cardiaque et d’une surcharge en fer.

Il existe également un excès d’accidents thrombotiques, liés aux effets procoagulants des phospholipides de la membrane des GR.

– Le pronostic dépend de la sévérité de la maladie mais il est généralement bon si le traitement au long cours est bien conduit.

On peut obtenir une espérance de vie > 30 ans.

6. Prise en charge et traitement :

1) Prise en charge :

Elle consiste en :

– Correction de l’anémie, lorsqu’elle est trop importante, par des transfusions de sang. But : ramener l’Hb à des valeurs subnormales (9-10 g/dl). Si ces transfusions sont fréquentes dans les formes majeures (une fois/mois), la bonne tolérance de l’anémie dans les formes intermédiaires les rend occasionnelles. Prévention de l’hémolyse intratissulaire : en transfusant du sang dit “phénotypé” (respecter la comptabilité dans tous les systèmes).

– Prévention de l’hémosidérose : chélateurs du fer (augmenter l’excrétion urinaire du fer) : Déféroxamine (Desféral ® perfusion continue sous-cutanée (mais les intolérances locales cutanées en limitent l’observance)).

Les chélateurs du fer ont doublé l’espérance de vie dans les syndromes thalassémiques majeurs.

La disponibilité de nouveaux chélateurs actifs par voie orale et la surveillance de la surcharge cardiaque en fer par IRM ont encore amélioré la prise en charge.

En 2006, le déférasirox, chélateur oral administré une fois par jour, a obtenu une AMM européenne pour le traitement de première ligne de la surcharge en fer dans la bêta-thalassémie.

L’AMM de la défériprone, autre chélateur oral, très efficace sur la surcharge en fer cardiaque, est restreinte aux patients chez qui la déféroxamine est inadéquate.

– Dans certains cas, une splénectomie est réalisée pour limiter une destruction trop importante des GR ou pour baisser les besoins transfusionnels. Cette intervention rend les personnes plus sensibles aux infections.

– Une antibiothérapie continue (oracilline ®) : prévention des infections (BT majeure).

– Une supplémentation en acide folique est recommandée dans les formes intermédiaires, car il est nécessaire à la fabrication des GR.

– Réactivation de la synthèse d’HbF : avec l’hydroxyurée principalement, ou l’EPO. Utilisation au cas par cas (surtout pour les β-thal intermédiaires).

2) Traitement :

Le seul traitement susceptible de guérir définitivement une bêta-thalassémie est le greffe de moelle osseuse d’un donneur non atteint de thalassémie et compatible avec le receveur.

C’est un traitement lourd et qui n’est pas toujours réalisable faute de trouver un donneur compatible.

7. Des traitements innovants en perspective :

En février 2010, les résultats de la première tentative de thérapie génique dans la bêta-thalassémie ont été publiés : plus de trois ans après le début du traitement, le jeune adulte traité grâce à un protocole de thérapie génique n’a plus besoin de transfusion sanguine pour mener une existence normale alors qu’il était jusqu’alors transfusé tous les mois.

8. Conseil génétique :

La bêta-thalassémie est une maladie génétique qui touche aussi bien les filles que les garçons.

La transmission de la BT est autosomique récessive.

Environ 200 mutations (B0 ou B+) ont été identifiées.

Le conseil génétique est recommandé pour que les couples à risque puissent faire un choix éclairé entre les différentes options dont celle du diagnostic prénatal.

Le conseil génétique permet d’informer et d’accompagner une personne, un couple ou une famille, confrontée au risque de développer ou de transmettre une maladie génétique.

Points clés

Au total, le diagnostic des thalassémies repose sur :

1) la notion familiale et l’origine ethnique (Méditerranée) ;

2) la NFS pratiquée en présence de signes cliniques évocateurs d’une anémie (pâleur, fatigabilité, essoufflement…), elle confirme l’anémie ;

3) l’électrophorèse de l’hémoglobine +++ :

Les formes homozygotes se caractérisent par une augmentation de l’hémoglobine F, les formes hétérozygotes par l’augmentation de l’hémoglobine A2.

– Dans la BT-majeure homozygote : l’hémoglobine F est présente en grande quantité (30 à 90 %). L’HbA est absente dans les β0-thalassémie (déficit total en chaînes β), présente mais diminuée (5 à 50 %) dans les β +-thalassémies (déficit partiel).

– Dans la BT-mineure hétérozygote : augmentation de l’HbA2 deux fois plus élevée que la normale (entre 4 et 7 % au lieu de 2 à 3,3 %). La formation d’hémoglobine A2 est due au remplacement des chaînes β déficientes par des chaînes δ (l’HbA2 est une hémoglobine α2- δ2) ⇒ les chaînes alpha en surplus vont se lier aux δ ⇒ augmentation d’Hb F. 

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