1. Définition :

L’hématome rétroplacentaire (HRP) correspond au décollement prématuré d’un placenta normalement inséré (DPPNI).

La lésion anatomique est formée d’un hématome situé entre la plaque basale du placenta et la paroi utérine (hématome décidual basal) interrompant la circulation materno-fœtale et entraînant rapidement des troubles hémodynamiques, des anomalies de la coagulation et une souffrance fœtale aiguë.

Il constitue un grave accident obstétrical pouvant mettre en jeu le pronostic fœtal et maternel.

Ces causes exactes ne sont pas toujours clairement définies. Cependant, certains facteurs de risque ont été identifiés, bien que la présence de ces facteurs ne garantisse pas nécessairement le développement de l’HRP.

2. Physiopathologie :

● La physiopathologie de ce syndrome est tout entière expliquée par le terme de DPPNI.

– Il s’agit du décollement du placenta qui se produit prématurément, c’est-à-dire avant la naissance de l’enfant.

– Il peut survenir lors de la grossesse ou pendant le travail.

– D’autre part, il s’agit d’un placenta normalement inséré, ce qui élimine ainsi les problèmes hémorragiques du placenta prævia.

Le décollement placentaire se fait entre les couches compacte et spongieuse de la caduque ; il peut être du à un traumatisme ou à une ischémie aiguë passagère au niveau des artères utéroplacentaires.

Secondairement, la reperméabilisation de la zone ischémiée lésée aboutit à la constitution d’un hématome. Ce dernier entraîne une compression des cotylédons et des lésions d’infarctus secondaires sur un placenta normal ou pathologique.

Différentes théories pathogéniques ont été proposées : spasme artériel, rupture vasculaire, fragilité capillaire, phénomène allergique, trouble local de l’hémostase…

● Ce décollement va entraîner la constitution d’une hémorragie qui ne va pas s’extérioriser le plus souvent, s’épanchant entre placenta et utérus.

Il se constitue donc un hématome dans l’espace ainsi créé ; les complications vont se manifester chez le fœtus et chez la mère :

– chez le fœtus : la diminution des échanges est responsable d’une souffrance fœtale, dont l’intensité est proportionnelle à la surface de l’hématome (MIU si la zone décollée est supérieure à la moitié de la surface d’insertion placentaire),

– chez la mère :

. le retentissement pourra être dû à l’importance de l’hémorragie, mais surtout aux troubles de la coagulation qui pourront survenir ; en effet, l’ouverture de l’hématome dans la chambre intervilleuse inonde la circulation maternelle en thromboplastines placentaires et en facteurs de coagulation activés responsables de troubles de la crase sanguine (CIVD) patents dans 10 % des cas,

. de même, un taux plus élevé d’hémorragies de la délivrance est retrouvé (20 %), dû à l’inertie utérine associée aux troubles de coagulation latents.

● La surface du décollement va conditionner le tableau clinique, pouvant prendre tous les aspects entre le tableau de choc avec apoplexie utéroplacentaire, et l’hématome seulement découvert lors de l’examen systématique du placenta.

● Dans les formes graves, il convient d’évacuer rapidement l’utérus pour ne pas compromettre le pronostic maternel, même si le fœtus est mort.

3. Epidémiologie :

1) Fréquence :

Le DPPNI est un accident obstétrical relativement rare, mais dont la fréquence est assez stable.

Cette fréquence peut être diversement appréciée selon que l’on considère seulement les accidents graves (0,5 % des grossesses) ou toutes les formes, même purement anatomiques (1 % des grossesses).

2) Facteurs de risque :

Les facteurs de risque potentiels comprennent :

1. Antécédent personnel d’HRP : si une femme a déjà eu un HRP lors d’une grossesse précédente, son risque peut être plus élevé pour les grossesses futures.

2. Age maternel avancé ou jeune : les femmes de moins de 20 ans et celles de plus de 35 ans semblent présenter un risque légèrement accru d’HRP.

3. HTA gravidique : elle est retrouvée dans 40 à 50 % des DPPNI. L’incidence de l’HRP est d’autant plus élevée que l’HTA est précoce et sévère : ces formes graves d’HTA déterminent des altérations vasculaires placentaires et une insuffisance fonctionnelle faisant le lit de l’HRP. Il compliquerait 10 % des HTA chroniques ou récidivantes et 2,3 % des toxémies gravidiques pures.

4. Tabagisme, drogue et alcool.

5. Traumatisme abdominal : un traumatisme violent et direct sur l’utérus pendant la grossesse (accident de circulation, ceinture de sécurité, chute…), peut potentiellement déclencher un décollement placentaire.

6. Grossesses multiples (jumeaux, triplés…) : les grossesses multiples sont associées à un risque accru d’HRP en raison de la pression supplémentaire exercée sur le placenta et l’utérus.

7. Pathologies médicales sous-jacentes telles que le diabète, les maladies auto-immunes ou les troubles de la coagulation peuvent augmenter le risque d’HRP.

8. Certaines procédures médicales, comme l’amniocentèse ou une version du fœtus par manœuvres externes (VME) pourraient potentiellement augmenter le risque d’HRP, bien que cela soit rare.

9. Dépassement de terme : le vieillissement naturel du placenta et son détachement potentiel de l’utérus peuvent contribuer aux risques de complications telles que l’HRP. Cependant, il est important de noter que le dépassement de terme seul ne garantit pas le développement d’un HRP. De nombreux facteurs interagissent et contribuent à la survenue de cette complication.

10. Histoire familiale d’HRP.

11. Citons enfin les carences nutritionnelles.

Il est important de noter que l’HRP peut survenir très souvent sans aucun facteur de risque identifiable (on peut incriminer des accidents funiculaires dues à une traction par le fœtus sur le cordon en cas de brièveté ou de circulaire)…

4. ANA-PATH :

Le DPPNI réalise un hématome décidual basal par décollement.

1) Macroscopie :

Il réalise un caillot arrondi noirâtre, adhérent et déprimant le placenta en une cupule, due à la compression des cotylédons.

L’hématome est toujours surmonté d’une zone placentaire infarcie.

L’utérus est sous tension, œdématié, bleuté partiellement ou dans son ensemble (utérus de Couvelaire).

Parfois l’ensemble de l’utérus ou du petit bassin et exceptionnellement certains organes (foie, reins, SNC) peuvent présenter des lésions ecchymotiques avec suffusion hémorragique et œdème (formes graves d’apoplexie).

2) Microscopie :

Collection d’hématies enserrées dans un réseau fibrineux.

Les cellules environnantes trophoblastiques et déciduales contiennent de l’hémosidérine.

Les lésions siègent au niveau de la plaque basale.

Les vaisseaux villositaires et utéroplacentaires peuvent montrer : une vasodilatation, des thromboses, des zones de rupture.

5. Etude clinique :

Le plus souvent, il s’agit d’une patiente admise en urgence pour une complication survenant lors du dernier trimestre de la grossesse.

Parfois, la femme se présente avec un tableau trompeur de MAP avec des contractions très douloureuses.

Enfin, il peut s’agir d’un diagnostic porté lors de l’examen systématique du placenta après la délivrance. L’intérêt de cette forme est représenté par la nécessité de vérifier l’absence de troubles de la coagulation chez la mère.

1) Forme grave typique :

a) Signes fonctionnels :

Le diagnostic est posé chez une patiente volontiers multipare âgée, souvent hypertendue (HTA chronique ou plus rarement toxémique), enceinte dans son 3ème trimestre, chez qui apparaît brutalement :

– une douleur abdomino-pelvienne violente, souvent intense à type de crampes ou de “coup de poignard”, irradiant vers les lombes, les régions dorsales et crurales.

Contrairement aux CU douloureuses, elle est permanente et va persister jusqu’à l’évacuation utérine.

– Elle s’accompagne d’une métrorragie noirâtre peu abondante, retardée par rapport à la douleur ; elle peut manquer dans 15 à 20 % des cas.

– Autres signes (inconstants, moins évocateurs) : nausées, vomissements, signes de prééclampsie : céphalées, barre épigastrique, troubles sensitifs.

b) Signes généraux :

Signes de choc débutant avec pâleur, prostration, anxiété, refroidissement des extrémités.

La TA est variable : déjà effondrée dans les formes graves, ou encore haute en cas d’HTA gravidique connue.

On s’attachera plus à l’accélération du pouls maternel qu’aux chiffres tensionnels.

L’oligurie est constante, souvent accompagnée d’une protéinurie massive.

Exceptionnellement : pétéchies ou ecchymoses au niveau des téguments et des muqueuses.

c) Examen obstétrical :

– Il révèle une hypertonie utérine permanente et douloureuse, pouvant aller jusqu’à la contracture utérine.

Certains hématomes de petit volume ne s’accompagnent pas de contractures, mais d’une hypercontractilité utérine (hypercinésie de fréquence, mauvais relâchement utérin entre les contractions utérines).

– Augmentation rapide de la HU à deux examens successifs (si le diagnostic tarde à être porté).

– BCF souvent absents ou bradycardie.

– Au toucher vaginal : le segment inférieur est dur, tendu, témoignant de la contracture utérine. Le col est parfois déjà modifié, confirmant un début de travail.

– L’examen au spéculum permet de s’assurer de l’origine utérine de l’hémorragie, dans les cas douteux. 

Devant un tel tableau, le diagnostic de DPPNI ne fait aucun doute ⇒ entreprendre en urgence une réanimation maternelle à base de sang, après avoir pratiqué un bilan materno-fœtal initial tenant compte :

– de l’état maternel,

– du terme de la grossesse et de la vitalité fœtale :

     = mort fœtale : évacuation de l’utérus par VB,

     = enfant viable et vivant : césarienne d’urgence.

2) Formes cliniques :

a) Formes frustres :

Elles réalisent le tableau d’une douleur abdominale aiguë isolée brutale et souvent régressive, ou celui trompeur d’une MAP avec contractions douloureuses et saignements vaginaux minimes, sans état de choc.

Les examens complémentaires sont ici indispensables :

– biologie : peut montrer des stigmates d’HTA gravidique : hyperuricémie, thrombopénie,

– cardiotoco : recherche une hypertonie utérine et des signes de SF,

– échographie : révélant l’hématome et confirmant une hypotrophie fœtale.

b) Formes trompeuses :

– F. peu douloureuses avec saignement abondant : pouvant simuler un PP ⇒ intérêt du contexte clinique et de l’échographie.

– F. sur placenta prævia : où le diagnostic de PP est connu. On s’attachera à mettre en évidence des signes cliniques et biologiques d’HTA gravidique, une douleur anormalement intense et une hypertonie utérine.

c) Formes compliquées :

– crise d’éclampsie : forme gravissime. Il existe des éclampsies “iatrogènes” dues aux surcharges d’apport (réanimation),

– nécrose corticale des reins : s’observe 1 fois/6 dans les formes graves avec choc hémorragique et troubles de la crase sanguine,

– rupture utérine : responsable de morts maternelles, suspectée devant une aggravation brutale de l’hémorragie, des troubles de la crase sanguine et l’apparition d’une atonie utérine.

6. Appréciation du degré de gravité :

1) Retentissement fœtal :

Il est à évaluer dès l’entrée de la patiente.

C’est la recherche des signes de souffrance fœtale qui s’apprécient par l’étude du RCF :

– dans certains cas, la mort fœtale s’est déjà produite et on ne retrouve donc pas de bruit du cœur ; l’échographie confirmera le diagnostic,

– le plus souvent, l’enregistrement du RCF montre des signes de souffrance, représentés par un tracé non réactif, aplati, c’est-à-dire qui a perdu ses oscillations rapides physiologiques :

. parfois, le rythme de base est inférieur au rythme normal de 120 b/mn,

. mais le signe principal de la souffrance fœtale en cours de travail est l’apparition de décélérations du rythme cardiaque lors de chaque contraction utérine, ou en cas d’hypertonie de l’utérus.

2) Retentissement maternel :

Il est apprécié dans le même temps :

– c’est l’estimation de l’état de choc par la surveillance du pouls maternel, de la tension artérielle et de la diurèse,

– albuminurie évaluée par bandelette urinaire,

– examens biologiques demandés en urgence pour rechercher des troubles de la coagulation : dosage du fibrinogène, taux de plaquettes, taux de prothrombine, hématocrite, groupe sanguin.

Au terme de ce bilan, qui peut être effectué très rapidement, la sévérité de l’HRP est évaluée et va déterminer la conduite à tenir.

3) Echographie : Cf chapitre spécial

7. Diagnostic différentiel :

Ce n’est que devant les formes plus frustes qu’on peut évoquer les diagnostics différentiels classiques.

1) Devant une hémorragie du 3ème trimestre (et du travail) :

Rechercher un traumatisme, l’existence ou non de douleurs, de CU, d’HTA et le type de saignement.

– Hémorragies d’origine cervicale : se voient au spéculum, compliquant une lésion du col (polype, érosion, dysplasie, cancer).

– placenta prævia : hémorragie de sang rouge vif, indolore ou accompagnant des CU.

Si la femme est en travail : bon relâchement utérin entre les CU ; il est confirmé par l’échographie.

– Rupture utérine : chez une femme antérieurement césarisée ou chez une grande multipare ayant subi plusieurs curetages.

Douleur intense, état de choc, hémorragies extériorisées (pouvant être minimes).

– Hématome décidual marginal (rupture du sinus marginal) : MAP avec hémorragies abondantes.

Echographie : languette placentaire décollée, le plus souvent de la région isthmique.

Diagnostic de certitude : à l’examen du délivre. Il met rarement en jeu le pronostic fœtal.

– Rupture des vaisseaux ombilicaux prævia (Benckiser) : rare, qui s’observe dans l’insertion vélamenteuse du cordon ; elle est redoutable car elle entraîne rapidement une anémie fœtale grave.

2) En cas de choc : outre un choc hémorragique, on évoquera :

– Embolie amniotique : exceptionnelle, pouvant simuler ou compliquer un HRP.

Biologiquement : syndrome hémorragique (CIVD et parfois fibrinolyse).

En cas de doute : prélèvement veineux central ⇒ présence d’éléments fœtaux (vernix, cellules cutanées).

– Choc infectieux, à point de départ urinaire ou par chorioamniotite.

3) Syndromes douloureux abdominaux :

Ils sont souvent trompeurs en fin de grossesse :

– colique néphrétique,

– pancréatite aiguë,

– hydramnios subaigu : échographie (excès de liquide sans HRP),

– et surtout appendicite aiguë : douleur + hypertonie utérine, mais les signes sont localisés à droite et s’accompagnent de troubles digestifs évocateurs.

4) Rupture utérine :

Elle réalise un tableau d’hématome modéré, associant douleurs aiguës et métrorragies minimes sur un utérus contractile. La notion de cicatrice utérine est très évocatrice.

Cependant, le diagnostic est souvent difficile, d’autant plus que la rupture utérine peut compliquer un DPPNI.

De toute façon, un tel tableau nécessite une intervention chirurgicale d’urgence.

8. Evolution :

1) Evaluer la gravité :

– A l’issue de ce tour d’horizon, le diagnostic de DPPNI est habituellement fortement suspecté et on peut évaluer la gravité de celui-ci qui est :

. discret (simples métrorragies dont l’origine ne sera rattachée à l’HRP qu’à l’analyse du délivre à l’issue d’un accouchement normal),

. modéré (les signes cliniques sont présents mais l’enfant est vivant),

. sévère si l’enfant est mort et/ou s’il y a des troubles de coagulation.

– Le traitement doit être rapidement mis en route avec réalisation des gestes d’urgence pour la mère : mise en place d’une voie veineuse suffisante et d’une sonde à demeure, traitement du choc.

2) Evolution spontanée :

a) Complications :

L’évolution spontanée du DPPNI va se faire vers l’apparition de complications dans un délai parfois très bref :

– la mort fœtale peut survenir du fait de la diminution importante des échanges fœto-placentaires ou en raison de l’état de choc maternel,

– les troubles de la coagulation peuvent devenir catastrophiques très rapidement avec CIVD et fibrinolyse à l’origine d’hémorragies cataclysmiques ; le diagnostic est évoqué devant l’apparition de métrorragies faites de sang incoagulable,

– dans les chocs graves, la nécrose corticale rénale survient 1 fois sur 6 en l’absence de traitement rapide,

– la nécrose de l’utérus peut également survenir : apoplexie utéroplacentaire,

– la rupture utérine peut venir aggraver le tableau, surtout si l’HRP survient sur un utérus cicatriciel.

b) Mortalité maternelle :

Au total, la mortalité maternelle existe encore dans les DPPNI, certains la chiffrent à 4 %. Le pronostic maternel est lié à la fois :

– à la cause et à la sévérité de l’HRP,

– et à la durée d’évolution de l’hémorragie qui entraîne la consommation des facteurs de la coagulation. Ceci rend rapidement dangereux tout geste obstétrical ou chirurgical.

C’est insister une nouvelle fois sur l’urgence de la mise en route du traitement.

9. Pronostic :

1) Pronostic fœtal :

Il est sombre :

– mortalité : elle est élevée : 70 % des enfants meurent si le délai entre le diagnostic et la naissance est > 2 h. La césarienne d’urgence réduit considérablement la mortalité.

– morbidité : elle tient à la prématurité (spontanée ou iatrogène) et aux lésions de SFC liées à l’hypotrophie.

2) Pronostic maternel :

Il est lié à la cause, à la sévérité de l’HRP compliqué ou non et à la durée d’évolution de l’hémorragie.

10. Conduite à tenir : Cf chapitre spécial

Points clés

Le diagnostic d’hématome rétroplacentaire est clinique et ne nécessite pas d’échographie ; il associe classiquement un utérus de bois, des métrorragies, des anomalies du RCF, dans un cadre de maladie vasculaire placentaire.

Il s’agit d’une urgence obstétricale nécessitant l’extraction fœtale rapide par césarienne le plus souvent.

Parfois, un tableau plus fruste et moins spectaculaire est possible. La visualisation de l’hématome rétroplacentaire, qui est alors de surface plus limitée, se fait à l’échographie.

Dans un premier temps, il est anéchogène, refoulant le placenta ; puis sa coagulation entraîne une échogénicité comparable à celle du placenta rendant le diagnostic échographique plus difficile.

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