L’hypothyroïdie, déficit en hormones thyroïdiennes, est une pathologie fréquente aux implications systémiques.
Son diagnostic et sa prise en charge exigent une approche rigoureuse, intégrant les dernières avancées scientifiques et recommandations internationales.
1. Définition et classification :
1) Définition biochimique :
– Hypothyroïdie patente : TSH élevée + T4L basse.
– Hypothyroïdie subclinique : TSH élevée + T4L normale.
2) Classification étiologique :
– Primaire (90-95 % des cas) : atteinte thyroïdienne (TSH élevée).
– Centrale (hypophysaire/hypothalamique) : TSH basse/normale inappropriée.
– Périphérique (rare) : résistance aux hormones thyroïdiennes.
2. Épidémiologie :
1) Prévalence :
– Hypothyroïdie patente : 0,2 %.
– Hypothyroïdie subclinique : 5,3 % (en hausse).
2) Populations à risque :
– Femmes (> 60 ans), antécédents auto-immuns, irradiations cervicales.
3. Étiologies :
L’hypothyroïdie primaire et secondaire diffèrent par leur origine et leurs mécanismes sous-jacents.
Voici les distinctions principales :
Caractéristique | Hypothyroïdie primaire | Hypothyroïdie secondaire (centrale) |
---|---|---|
Origine du dysfonctionnement | Dysfonctionnement de la glande thyroïde elle-même. | Dysfonctionnement de l'hypophyse, qui produit insuffisamment de TSH. |
Causes principales | - Thyroïdite de Hashimoto (auto-immune) - Carence en iode - Traitements iatrogènes (chirurgie thyroïdienne, iode radioactif, médicaments comme l'amiodarone ou le lithium) |
- Tumeurs hypophysaires ou hypothalamiques - Radiothérapie ou chirurgie affectant l'hypophyse - Traumatisme crânien ou maladies génétiques affectant l'axe hypothalamo-hypophysaire |
TSH sérique | Élevée (en raison d'une stimulation compensatoire par l'hypophyse). | Basse ou normale (en raison d'une production insuffisante par l'hypophyse). |
T4 libre sérique | Basse | Basse |
Prévalence | Fréquente | Rare |
Traitement | Substitution hormonale par lévothyroxine et traitement de la cause si possible. | Substitution hormonale et prise en charge des pathologies hypophysaires sous-jacentes. |
En résumé, l’hypothyroïdie primaire résulte d’un problème au niveau de la thyroïde elle-même, tandis que l’hypothyroïdie secondaire est due à une insuffisance de stimulation par l’hypophyse
4. Diagnostic :
1) Bilan initial :
– TSH : Dosage de première intention.
– T4 libre : Confirmatoire en cas de TSH élevée.
– Anticorps anti-TPO/anti-thyroglobuline : Si suspicion de thyroïdite auto-immune.
2) Pièges :
– Interactions médicamenteuses (biotine, corticoïdes).
– Variations physiologiques (grossesse, âge).
5. Manifestations cliniques :
1) Symptômes cardinaux :
– asthénie +++,
– prise de poids,
– frilosité,
– constipation,
– peau sèche,
– chute de cheveux,
– irrégularité menstruelle (ou aménorrhées) chez les femmes,
– parfois présence d’un goitre (augmentation du volume de la thyroïde).
2) Complications graves :
– Myxœdème : coma hypothyroïdien (mortalité élevée sans traitement).
– Risque cardiovasculaire : dyslipidémie, insuffisance cardiaque.
– Atteintes systémiques :
. Rénales : risque majoré d’insuffisance rénale chronique (x2 à x7 selon la sévérité).
. Neurocognitives : association avec démence (+12 % de risque/6 mois d’élévation TSH).
6. Hypothyroïdie et hyperprolactinémie :
L’hypothyroïdie primaire peut induire une hyperprolactinémie via plusieurs mécanismes interdépendants.
1. Stimulation de la sécrétion de prolactine par la TRH (thyrotropin-releasing hormone) :
Dans l’hypothyroïdie primaire, la diminution des hormones thyroïdiennes entraîne une élévation compensatrice de la TRH hypothalamique. Cette hormone stimule non seulement la production de TSH par l’hypophyse, mais active aussi directement les cellules lactotropes, augmentant la sécrétion de prolactine.
La TRH agit comme un facteur de libération de la prolactine, notamment en cas d’hypothyroïdie prolongée.
2. Réduction de la clairance métabolique de la prolactine :
Les patients hypothyroïdiens présentent une élimination ralentie de la prolactine, contribuant à son accumulation plasmatique. Ce mécanisme est indépendant de la stimulation hypophysaire et résulte d’une altération du métabolisme hépatique ou rénal.
3. Diminution de l’effet inhibiteur de la dopamine :
L’hypothyroïdie réduit la sensibilité des cellules lactotropes à l’action inhibitrice de la dopamine, principal régulateur négatif de la prolactine. Cette désensibilisation potentialise l’effet stimulant de la TRH.
* Conséquences cliniques :
Ces perturbations expliquent des manifestations comme la galactorrhée ou les troubles menstruels.
Le traitement substitutif par lévothyroxine permet généralement une normalisation rapide de la prolactinémie, confirmant le lien causal.
* Cas particuliers :
Une coexistence avec un prolactinome est possible, nécessitant alors une imagerie hypophysaire pour différencier les étiologies.
L’hypothyroïdie secondaire (d’origine centrale) ne provoque pas d’hyperprolactinémie, car elle s’accompagne d’une baisse de la TRH.
7. Prise en charge thérapeutique :
1) Traitement standard : Levothyroxine (LT4) :
– Dose initiale : 1,6–1,8 µg/kg/j (ajustée selon âge, comorbidités cardiaques).
– Objectif : normalisation TSH (0,4–4,0 mUI/L).
– Surveillance : dosage TSH 6–8 semaines après initiation/modification.
2) Cas particuliers :
– Hypothyroïdie subclinique :
– Traitement si TSH > 10 mUI/L ou symptômes + facteurs de risque cardiovasculaires.
– Grossesse :
– Cible TSH < 2,5 mUI/L au 1ᵉʳ trimestre.
– Ajustement posologique immédiat (+25–30 %).
3) Situations complexes :
– Symptômes persistants sous LT4 :
– Vérifier l’observance, interactions médicamenteuses, malabsorption.
– Combinaison LT4/LT3 : non recommandée en routine (preuves limitées).
4) Suivi et surveillance :
– TSH : Dosage annuel une fois stabilisé.
– Signes de surdosage : palpitations, ostéoporose, fibrillation auriculaire.
8. Conclusion :
L’hypothyroïdie nécessite une approche personnalisée, intégrant étiologie, contexte clinique et comorbidités.
Alors que le LT4 reste la pierre angulaire du traitement, la persistance de symptômes chez certains patients souligne la nécessité de recherches approfondies sur les mécanismes hormonaux et les alternatives thérapeutiques.