Les séquelles de l’infection génitale haute de la femme sont liées à deux facteurs :
– la fragilité des trompes dont la muqueuse, une fois détruite par l’infection, ne se régénère pas, et dont le canal s’obture partiellement ou complètement de façon définitive,
– la tendance qu’a le péritoine pelvien infecté à sécréter un exsudat fibrineux, responsable d’adhérences péri-tubo-ovariennes.
Ces séquelles sont de trois ordres :
1- stérilités tubaires obstructives,
2- douleurs pelviennes chroniques,
3- grossesses extra-utérines (GEU).
1. Stérilités tubaires :
Les salpingites représentent la cause majeure des stérilités tubaires et l’on ne saurait plus à l’heure actuelle considérer comme facteur étiologique les seules salpingites aiguës ou subaiguës, mais également les salpingites silencieuses d’emblée, totalement infracliniques.
Même guéries, les salpingites ont pour séquelles une stérilité tubaire dans 15 à 20 % des cas, ce risque doublant pour une femme donnée à chaque nouvelle salpingite.
Le rôle important des salpingites chroniques infracliniques a été plus récemment mis en évidence. Les examens anatomique et histologique montrent que la stérilité tubaire a une cause infectieuse dans 80 % des cas ; parmi les femmes atteintes, 30 % seulement ont un antécédent connu de salpingite, 15 % ont eu un ou plusieurs épisodes de douleurs pelviennes, négligés soit par elles soit par leur médecin, 5 % relèvent d’une cause spécifique (tuberculose, appendicite compliquée…) et 50 % n’ont aucun antécédent particulier ; la salpingite silencieuse infraclinique est donc un fournisseur de stérilité plus important que la salpingite aiguë.
1) Rappel microbiologique :
De nombreux travaux ont maintenant démontré que Chlamydia trachomatis, incriminé dans 50 % des salpingites aiguës est à la fois la cause majeure des salpingites silencieuses et des stérilités tubaires.
La relation entre infection à C. trachomatis et stérilité tubaire a été démontrée d’une part par des études sérologiques, d’autre part par des cultures pelviennes ; la sérologie pour C. trachomatis est positive de façon significativement élevée (60 à 80 % des cas) chez les femmes atteintes de stérilité tubaire, contre 15 % chez des groupes témoins de femmes fécondes ou à trompes normales.
D’autres facteurs microbiens peuvent intervenir : infection à germes banals, fréquente dans les salpingites aiguës (soit qu’elle surinfecte une trompe mordancée par l’infection sexuelle, soit qu’elle existe d’emblée) ; ces germes sont retrouvés dans le pelvis chez la femme stérile dans 5 % des cas. Il s’agit d’aérobies ou d’anaérobies divers, à pousse lente : proteus, E. coli, streptocoques divers, Gardnerella…
Des infections spécifiques, tuberculose ou bilharziose génitale sont rares et se voient surtout chez les immigrées originaires de pays non protégés. L’infection, également silencieuse, est découverte à l’occasion de l’infertilité.
2) Attitude du praticien devant une stérilité tubaire :
On saura s’orienter rapidement vers le diagnostic de stérilité tubaire :
. d’une part par l’interrogatoire : couples dont l’un des partenaires a des antécédents connus d’IST, femmes ayant des antécédents non seulement de salpingite connue mais aussi d’infection génitale basse, de douleurs pelviennes inexpliquées, ou de partenaires multiples,
. d’autre part par la sérologie de C. trachomatis, examen demandé systématiquement dès la première consultation pour stérilité, et dont la positivité (taux d’IgG > 1/32) oriente vers un facteur mécanique d’infertilité.
– Un bilan bactériologique s’impose avant de procéder à des examens agressifs (hystérographie, cœlioscopie), nécessaires pour étayer le diagnostic : on recherchera une infection des voies génitales basses des deux partenaires et en particulier une chlamydiose ; une infection latente des voies génitales hautes par l’examen clinique, la VS.
– L’hystérosalpingographie (HSG), faite après traitement de toute infection gynécologique, en première partie du cycle, et encadrée systématiquement par un traitement antibiotique, va mettre en évidence, dans la majorité des cas, l’origine mécanique de la stérilité.
Elle est l’examen clé pour l’étude de l’isthme tubaire, et pour certains diagnostics particuliers comme la tuberculose et la bilharziose ; elle montre la plupart des lésions tubaires distales : hydrosalpinx, absence d’injection partielle ou totale d’une ou des deux trompes, absence de diffusion du produit, témoin d’une sténose tubaire, ou d’adhérences péritubaires ; cependant, elle peut être normale alors qu’il existe un facteur mécanique, en particulier des adhérences péri-ovariennes.
– La cœlioscopie est indispensable au bilan, dès que l’HSG est anormale ; elle seule révèlera un certain nombre de stérilités mécaniques (adhérences péritubaires, sténoses tubaires partielles) ; on saura donc en poser les indications en cas d’échec des traitements après un laps de temps que la plupart des auteurs évaluent à deux ans.
Cet examen, fait sous anesthésie générale, permet d’étudier :
. la gravité des lésions tubaires et l’étendue des adhérences pelviennes,
. les lésions associées, parfois insoupçonnées par l’hystérographie (endométriose),
. l’existence d’un état inflammatoire chronique, soit visible (1/3 des cas), soit découvert par l’examen histologique des biopsies (2/3 des cas). Nous avons décrit le pelvis visqueux, caractéristique de cette infection silencieuse, hautement évocateur d’infection à C. trachomatis avec ses adhérences mollasses et rougeâtres, son péritoine recouvert d’un exsudat visqueux, son liquide jaune, épais dans le cul-de-sac de Douglas et la présence de pseudo-kystes adhérentiels groupés en œufs de grenouille auprès des trompes et des ovaires.
La cœlioscopie permet de faire des prélèvements microbiologiques pour rechercher un agent infectieux actif.
– L’endosalpingoscopie ampullaire ou tuboscopie est une donnée relativement récente.
Des travaux faits essentiellement en peropératoire lors de plasties tubaires, ont montré que l’étude de l’état de la muqueuse tubaire est déterminante quant au pronostic de la stérilité opérée ; les chances d’avoir une grossesse normale sont directement liées à la persistance d’une muqueuse ampullaire correcte, conservant ses plis et ses villosités indispensables à la migration de l’œuf vers l’utérus. Des altérations de cette muqueuse, zones plates, synéchies, disparition plus ou moins complète des villosités, sont irréductibles et entraînent une réduction hautement significative du taux de fécondation, ainsi qu’une quasi disparition des grossesses normales, les seules fécondations obtenues étant soit des grossesses extra-utérines, soit des grossesses avec avortement spontané précoce.
3) Traitement des stérilités tubaires :
Ce traitement a bénéficié d’une évolution considérable tenant d’une part à l’amélioration des anciennes techniques par la microchirurgie, d’autre part à une meilleure compréhension des mécanismes pathologiques (infection infraclinique), enfin à une technique révolutionnaire : la fécondation in vitro.
– La microchirurgie tubaire : l’apport du grossissement par loupe binoculaire, et surtout des techniques fines de dissection (micropointes, laser) et de sutures (microfils résorbables ou non) a permis aux équipes spécialisées un gain de grossesses, le taux moyen passant de 20 % à 40, 60 et 70 % selon que les lésions entraînent une obturation, une sténose ou de simples adhérences péritubaires.
– La fécondation in vitro : révolutionnaire dans son principe, elle consiste à négliger délibérément le facteur mécanique en prélevant chez la femme des ovules stimulés, en les fécondant avec le sperme du mari, et en replaçant après quelques jours l’œuf dans l’utérus.
La recherche et le traitement d’une infection, notamment à C. trachomatis fait partie du bilan préalable et des conditions de succès de cette technique (le taux de réussite est significativement plus élevé quand la sérologie pour C. trachomatis est négative).
2. Douleurs pelviennes chroniques : Cf chapitre spécial
Ces états, qui retentissent souvent péniblement sur le psychisme d’une femme, relèvent de causes multiples, infectieuses ou non infectieuses (endométriose, syndrome de Masters et Allen…) ; il est facile de les rattacher à cette cause si l’état infectieux initial a été aigu et diagnostiqué, beaucoup plus difficile s’il a été infraclinique ; la cœlioscopie joue un rôle important et permettra de savoir s’il s’agit :
– de l’état séquellaire d’une infection ancienne, en particulier d’adhérences péri-tubo-ovariennes (“ovaire corseté”),
– d’un état inflammatoire chronique évolutif avec présence d’un agent bactérien,
– ou d’un état inflammatoire chronique sans germe retrouvé, le problème étant alors de savoir s’il est “auto-entretenu” ou si les cultures sont en défaut.
La prudence doit cependant être de règle devant l’existence d’adhérences, avant de rattacher la douleur ressentie par la patiente aux anomalies anatomiques observées ; la cure bactériologique de l’état infectieux, la cure chirurgicale des adhérences, obtiennent des succès spectaculaires, mais inconstants ; le psychisme de la patiente, le nombre d’années pendant lesquelles la douleur s’est imprimé dans le circuit sensitif qui en gardera le souvenir, le vécu de l’état douloureux par rapport à l’entourage jouent on le sait un rôle important dans la persistance de ces douleurs, même après la guérison des lésions anatomiques. D’autre part, des statistiques ont montré que les adhérences observées par cœlioscopie sont aussi fréquentes, quelle que soit leur localisation, chez des femmes consultant pour stérilité en n’ayant aucune douleur, que chez les femmes consultant pour des douleurs pelviennes.
Avant d’entreprendre une cure chirurgicale, la prudence est donc d’épuiser les traitements médicaux, et en particulier de faire un test de blocage ovarien par les estroprogestatifs ou les progestatifs seuls.
3. Grossesse extra-utérine : Cf chapitre spécial
Prévention de ces séquelles :
On peut proposer une série de mesures préventives, visant à diminuer le nombre d’infections tubaires et à en limiter les conséquences :
– Diagnostic rapide et traitement attentif des salpingites aiguës par une antibiothérapie polyvalente, comportant un antibiotique actif sur Chlamydia trachomatis.
– Définition des sujets à risques : célibataires à vie sexuelle libre, divorces en cours, partenaires multiples chez l’un ou l’autre des membres d’un couple, partenaire(s) d’un sujet infecté ou de santé inconnue ; instruction de la population pour que ces sujets se reconnaissent comme tels et consultent.
– Lutte contre la diffusion des IST, gonocoque et surtout C. trachomatis par le dépistage systématique de l’infection des voies génitales basses chez les sujets à risques, grâce à la culture ou aux anticorps monoclonaux. En cas d’infection, traitement systématique non seulement du sujet atteint mais aussi de ses partenaires.
– Dépistage chez la femme des infections silencieuses des voies génitales hautes en utilisant le marqueur biologique qu’est la sérologie pour C. trachomatis. Une étude sérologique systématique devrait donc être demandée à intervalles réguliers chez les sujets jeunes “à risques” ou chaque fois qu’un événement clinique fait suspecter une contamination ; elle paraît aussi intéressante au plan santé que celle de la sérologie syphilitique. Une positivité nouvelle ou une élévation du taux d’IgG devraient déboucher sur un traitement de tétracyclines de synthèse ou de macrolides.