La grossesse chez une femme diabétique représente un risque potentiel aussi bien pour la mère que pour l’enfant.
Bien que l’on assiste ces dernières années à une régression spectaculaire de la mortalité et de la morbidité fœtale, elle n’en demeure pas moins une grossesse à haut risque, nécessitant une normalisation glycémique de la période préconceptionnelle à l’accouchement et un suivi rigoureux par des équipes multidisciplinaires ayant l’habitude de collaborer dans ce domaine.
Les risques sont ceux du retentissement de la grossesse sur le diabète déstabilisé, du diabète sur la grossesse, favorisant les infections urinaires et la toxémie gravidique, de l’embryo-fœtopathie diabétique liée aux désordres métaboliques maternels.
Les risques de survenue d’une souffrance fœtale chronique voire aiguë, sont liés à la fois à l’état vasculaire maternel et aux désordres métaboliques.
Le pronostic de la grossesse est essentiellement lié à l’équilibre glycémique et à l’existence ou non d’une HTA chez la mère.
1. Risques maternels :
1) Instabilité métabolique :
Afin d’assurer les besoins nutritionnels du fœtus, la femme enceinte est soumise à des bouleversements métaboliques et hormonaux qui contribuent à :
– favoriser la mise en réserve de glycogène et de lipides lors du premier trimestre (« anabolisme facilité »), et
– mobiliser les substrats (glucose, acides aminés, acides gras libres) vers l’enfant à partir de la deuxième partie de la grossesse (« catabolisme privilégié »).
⇒ Le premier trimestre se caractérise donc par une tendance aux hypoglycémies de jeûne (avec diminution des besoins en insuline), alors que s’installe progressivement à partir du deuxième trimestre (17-20 SA) une altération de la sensibilité à l’insuline (à cause de la sécrétion d’hormones antagonistes de l’insuline, notamment l’hormone lactogène placentaire), ce qui explique d’une part, le déclenchement du diabète gestationnel à partir de la fin du deuxième trimestre sur des terrains prédisposés, et la nécessité d’augmenter régulièrement les doses d’insuline chez les diabétiques insulino-traitées.
– L’instabilité glycémique avec risque d’acidocétose caractérise donc le troisième trimestre, instabilité encore plus grande lors de l’accouchement.
– Par contre les besoins en insuline chutent brutalement, de l’ordre de 30 à 50 % lors de la délivrance, exposant au risque d’hypoglycémie maternelle.
Nb : Au cours de la grossesse et du fait de l’abaissement fréquent du seuil rénal du glucose, la glycosurie n’est pas un reflet fiable de la glycémie et ne doit pas être recherchée. Seule la glycémie doit être effectuée (et la cétonurie en cas d’hyperglycémie).
2) Complications dégénératives :
– La grossesse augmente théoriquement le risque de survenue, voire d’aggravation d’une rétinopathie. Mais l’on sait aujourd’hui sur le plan pratique qu’en cas d’absence de rétinopathie proliférative, les conséquences sont minimes, et qu’en cas de rétinopathie proliférative ou pré-proliférative, une pan-photocoagulation avant ou au début de la grossesse limite ce risque, et que seule la rétinopathie proliférative floride représente une contre-indication réelle au maintien de la grossesse.
– La néphropathie est beaucoup plus rare, mais des complications sont à prévoir au cours de la grossesse :
. les complications fœtales sont fréquentes : RCIU, souffrance fœtale, MIU ou prématurité induite (pour éviter la MIU),
. l’évolution maternelle peut sembler sérieuse : la protéinurie augmente dans la seconde moitié de la grossesse et une HTA apparaît presque toujours, ou s’aggrave si elle était présente avant la grossesse.
L’insuffisance rénale, même si elle existait, ne s’aggrave que rarement.
A distance et dans la majorité des cas, l’état rénal reviendra à l’état antérieur.
La grossesse ne semble donc pas accélérer à long terme l’évolution de la néphropathie diabétique.
– Par contre, une coronaropathie fera contre-indiquer la grossesse.
3) Répercussions du diabète sur la grossesse :
Certaines complications sont plus fréquentes au cours de la grossesse diabétique.
– Infections urinaires : lorsqu’elles sont patentes (pyélonéphrites), prédisposent à la cétose et à l’acidocétose diabétique, qui sont graves pour la mère et peuvent entraîner la MIU.
Les bactériuries asymptomatiques doivent donc être recherchées systématiquement tous les mois et traitées.
– Hydramnios et excès de liquide amniotique constituent une complication fréquente et classique de la grossesse diabétique.
L’hydramnios s’observe surtout en cas de macrosomie fœtale et/ou à de malformations ; sa physiopathologie est obscure (la diurèse fœtale est normale). Il favorise la survenue de MAP.
– La toxémie gravidique, qui survient même en l’absence de néphropathie diabétique aggrave considérablement le pronostic maternel et fœtal et peut obliger à l’interruption prématurée de la grossesse.
Elle constitue aujourd’hui le principal facteur pronostique de la grossesse diabétique.
2. Risques fœtaux :
1) Avortements spontanés :
Ils sont plus fréquents lors des grossesses diabétiques mal équilibrées.
Une partie d’entre eux sont liés à des malformations létales.
2) Malformations fœtales :
La fréquence des malformations graves et létales, quelles qu’elles soient, est 2 à 3 fois plus élevée que dans la population générale.
Leur survenue est plus fréquente lorsque le diabète est mal contrôlé dans les premières semaines de la vie embryonnaire.
A contrario, leur fréquence est diminuée chez les femmes qui ont un contrôle correct du diabète, secondaire à une prise en charge préconceptionnelle.
En début de grossesse, le dosage de l’hémoglobine glyquée permet de juger du contrôle du diabète dans les semaines précédentes, et de prévoir un risque accru de malformations si elle est très élevée.
Ces malformations touchent surtout l’appareil cardio-vasculaire, le système nerveux central, le squelette et l’appareil uro-génital.
Les formes létales représentent la moitié de la mortalité périnatale.
La prise en charge et l’équilibration glycémique dès la période pré et périconceptionnelle représentent la seule manière efficace de les prévenir, le risque de malformation étant ramené à celui de la population générale si l’équilibre glycémique est normalisé dès la conception.
3) Souffrance fœtale chronique :
Le fœtus est soumis à deux types de souffrances possibles :
– des désordres métaboliques comprenant hyperglycémie, cétose voire acidocétose,
– une toxémie gravidique qui représente la principale cause de souffrance fœtale chronique.
4) Macrosomie :
La macrosomie est la caractéristique la plus fréquente rapportée chez le nouveau-né de mère diabétique.
Elle se caractérise par un poids supérieur au 90ème percentile des courbes de croissance intra-utérine, une hypertrophie du pannicule adipeux, une splanchnomégalie du foie, du cœur et des surrénales.
Elle est consécutive à l’hyperinsulinisme fœtal lié à l’hyperglycémie maternelle.
Il est nécessaire de distinguer les formes majeures, graves par leurs conséquences métaboliques, cardio-vasculaires (hypertrophie du septum interventriculaire) et obstétricales (dystocie des épaules).
Le bon contrôle du diabète diminue la monstruosité de l’apparence de ces nouveau-nés mais ne supprime pas la macrosomie qui persiste chez 20 à 30 % des nouveau-nés de mère diabétique.
La macrosomie est à l’origine de difficultés obstétricales dont la plus grave est la dystocie des épaules : cette difficulté d’extraction des épaules (alors que la tête est déjà sortie) peut entraîner une paralysie du plexus brachial, transitoire ou définitive, et aussi une asphyxie, à l’origine d’état de mal convulsif néonatal, de mort ou de séquelles neurologiques.
Nb : la persistance de la macrosomie sous forme modérée lors de grossesse diabétique équilibrée de façon stricte sur le plan métabolique, illustre la difficulté d’obtenir une normo-glycémie mais ne constitue pas dans ce cas un facteur pronostic péjoratif.
5) Hypotrophie fœtale :
L’hypotrophie est plus fréquente chez les nouveaux nés de mère diabétique, surtout si la mère présente des anomalies vasculaires ou une néphropathie.
6) Prématurité :
Elle est la source la plus importante de morbidité.
Le risque de prématurité dépend de l’état vasculaire de la mère, et surtout de l’existence d’une HTA (risque multiplié par 5).
La prématurité est parfois encore iatrogène.
7) Mortalité in utero :
Elle a considérablement diminué durant la grossesse diabétique ; elle était de l’ordre de 40 % jusque dans les années 1950, elle a diminué progressivement pour être de nos jours de l’ordre de 1 à 2 % dans les centres spécialisés.
Le fœtus est soumis à un risque de MIU, en fonction de la gravité des désordres métaboliques ou de l’état vasculaire maternel préexistant à la grossesse.
Cette mortalité survient le plus souvent chez des femmes dont le diabète était mal contrôlé, le fœtus gros, avec hydramnios, et de préférence dans les dernières semaines de la grossesse.
Elle est d’origine métabolique par cétose massive ou acidocétose avec passage transplacentaire des corps cétoniques.
Les autres causes de MIU chez la patiente diabétique sont liées aux malformations et aux HTA maternelles.
Au total, en dehors de complications dégénératives très sévères (rétinopathie floride, néphropathie avancée avec insuffisance rénale et HTA sévère, coronaropathie), la grossesse n’est pas contre-indiquée chez la femme diabétique.
Elle expose néanmoins le fœtus à des risques importants en rapport soit avec les désordres métaboliques maternels, soit avec la toxémie gravidique.
L’obtention d’un strict contrôle métabolique depuis la période préconceptionnelle jusqu’à l’accouchement, permet de diminuer le premier type de risque.
Une surveillance rigoureuse et pluridisciplinaire dans un centre spécialisé permet de réduire le risque vasculaire.
3. Complications néonatales :
Mises à part les malformations congénitales et la macrosomie avec ses complications possibles, qui ont été traitées plus haut, les complications néonatales sont les suivantes :
1) Détresses respiratoires :
L’hyperinsulinisme fœtal est responsable d’un retard de maturation du surfactant pulmonaire qui, en cas d’accouchement prématuré, est à l’origine d’un risque accru de maladie des membranes hyalines (MMH).
L’accouchement prématuré provoqué avait été autrefois proposé pour éviter les MIU et les difficultés obstétricales liées à la macrosomie : il a abouti à de nombreuses morts néonatales par maladie des membranes hyalines.
L’accouchement à terme permet d’éviter cette complication.
Plus fréquentes actuellement sont les tachypnées transitoires (24 – 48 h) par retard de résorption du liquide intrapulmonaire.
2) Cardiomyopathie hypertrophique transitoire :
Elle débute in utero, reconnue par l’échographie.
Elle est le plus souvent asymptomatique à la naissance ; parfois, elle est à l’origine d’une tachypnée avec cyanose et d’une cardiomégalie radiologique. Très rarement, elle peut entraîner une insuffisance cardiaque.
Dans tous les cas, les signes régressent en quelques semaines, les signes échocardiographiques en quelques mois.
3) Troubles métaboliques :
– l’hypoglycémie est très fréquente mais transitoire (quelques jours) ; elle nécessite une surveillance pluriquotidienne et des apports glucidiques systématiques ; elle est d’autant plus importante qu’a existé un hyperinsulinisme fœtal, et que le diabète a été mal équilibré dans les heures et jours qui ont précédé l’accouchement,
– l’hypocalcémie est fréquente et doit être dépistée et traitée avant l’apparition de signes cliniques,
– la polyglobulie est due vraisemblablement à une hypoxie chronique modérée ; elle entraîne une hyperviscosité sanguine, qui peut être à l’origine d’une détresse respiratoire, voire exceptionnellement d’une thrombose rénale,
– hyperbilirubinémie (ictère) : la production de bilirubine est augmentée du fait de la polyglobulie et d’une érythropoïèse accrue.
4) Mortalité néonatale :
Elle est actuellement basse et est due soit aux malformations congénitales soit à la grande prématurité.
Elle est parfois induite dans les néphropathies diabétiques.
4. Devenir à long terme des enfants de mère diabétique insulinodépendante :
Le risque de développer un diabète dans les 30 premières années de la vie est de l’ordre de 1 % (risque multiplié par 5 à 10 par rapport à un enfant de mère non diabétique).
Si le père et la mère ont un DID : le risque pour l’enfant est de 25 %.