L’anémie est un symptôme d’une très grande fréquence.

On la rencontre dans la plupart des maladies infectieuses, inflammatoires, cancéreuses, dans bien des affections endocriniennes, ainsi qu’au cours des défaillances viscérales, notamment hépatiques et rénales. Il n’est donc pas possible de procéder à des investigations complémentaires devant une anémie sans une première étude du contexte clinique et des anomalies révélées par l’hémogramme.

Toute autre approche du problème ne peut qu’aboutir à des examens inutiles, coûteux pour le malade et la collectivité, ou même dangereux.

Un des exemples les plus fréquents de ces examens inutiles est celui des multiples investigations fibroscopiques et radiologiques à la recherche d’une lésion du tube digestif chez un malade présentant une anémie dont les caractères sont bien différents de ceux des anémies d’origine hémorragique.

En sens inverse, bien des ponctions et biopsies médullaires pourraient être évitées, chez des malades présentant des anémies post-hémorragiques, où l’essentiel tient dans le diagnostic et le traitement étiologique.

Les principaux examens utiles et inutiles devant une anémie seront donc envisagés successivement en fonction des circonstances cliniques et des données du premier hémogramme. C’est dire aussi combien il est important que celui-ci soit réalisé avant tout traitement anti-anémique, et soit le plus fidèle et le plus complet possible : mesure des constantes érythrocytaires dans tous les cas, détermination du taux de réticulocytes devant toute anémie franche, étude des anomalies morphologiques des hématies.

Bien entendu, les comptages leucocytaire et plaquettaire seront également effectués devant toute anémie, ainsi que la détermination de la formule leucocytaire.

1. Il n’y a pas d’anémie :

Aucune étude complémentaire de l’anémie n’est indiquée s’il n’y a pas d’anémie. Cette proposition, qui semble une lapalissade, éviterait bien des examens inutiles si elle était respectée : on ne doit parler d’anémie qu’au-dessous de 13 g/dl d’hémoglobine chez l’homme, 12 g/dl chez la femme et même 11 g/dl chez la femme enceinte.

L’hémogramme peut révéler cependant des anomalies des constantes érythrocytaires en l’absence d’anémie.

Il faut donc rappeler ici que la cause la plus fréquente des macrocytoses (VGM > 100 fl) est l’alcoolisme, à confirmer par l’interrogatoire et de dosage des gamma GT.

Les microcytoses (VGM < 80 fl) non anémiques s’accompagnent le plus souvent d’une augmentation du taux de globules et sont symptomatiques de thalassémie hétérozygote : on confirmera ce diagnostic, rendu déjà probable devant l’origine ethnique généralement méditerranéenne, par une électrophorèse de l’hémoglobine montrant un taux élevé d’hémoglobine A2 (> 3,5 %).

2. L’anémie est secondaire à une étiologie connue : 

L’anémie ne demande en soi aucun examen complémentaire si elle est à l’évidence secondaire à une étiologie connue.

C’est le cas des anémies dues à des hémorragies aiguës, à des infections, des maladies inflammatoires sévères, une insuffisance rénale ou thyroïdienne.

De telles investigations ne sont justifiées que si l’étiologie supposée n’est pas certaine, si l’anémie est disproportionnée ou n’a pas les caractères attendus devant une telle étiologie.

A titre d’exemple, imaginons le cas d’un malade hospitalisé pour anémie et hémorragie digestive. Celle-ci ne laisse aucun doute car elle s’est traduite par une hématémèse suivie de mélaena durant plusieurs jours. Cependant l’anémie n’a pas les caractères des anémies post-hémorragiques (anémie régénérative avec taux de réticulocytes > 150 x 109/1, taux de leucocytes et de plaquettes normaux ou un peu augmentés). Elle est au contraire non régénérative (réticulocytes : 35 x 109/1), les leucocytes et les plaquettes sont abaissés. Il faut donc rechercher une pathologie médullaire associée à l’affection digestive, et demander, outre une fibroscopie, une ponction de moelle.

3. Examens complémentaires en l’absence d’étiologie évidente :

En l’absence d’étiologie évidente, les indications d’examens complémentaires vont découler des premières constatations hématologiques.

Ils devront souvent être réalisés en plusieurs étapes, un premier train d’investigations simples orientant la démarche diagnostique dans une certaine direction, la ou les suivantes, plus complexes, permettant de cerner au mieux la nature de l’affection responsable et les indications thérapeutiques.

Les seuls examens systématiques qui peuvent être utiles sont à la rigueur : le dosage du fer sérique et le coefficient de saturation de la sidérophiline – abaissés en cas de carence martiale, augmentés en cas d’insuffisance médullaire ou de dysérythropoïèse primitive, toxique ou par carence vitaminique -, et la vitesse de sédimentation à la première heure, – en tenant compte du fait que l’anémie est en soi responsable d’une accélération modérée.

1) Le taux de réticulocytes est augmenté :

a) Le malade est (sub) ictérique et présente une splénomégalie :

On est en présence d’une anémie hémolytique. Le test de Coombs doit être fait systématiquement.

Il est positif, l’anémie survient chez un adulte, un sujet âgé : c’est une anémie hémolytique auto-immune dont l’examen immunologique précisera le type. Il faut en rechercher l’étiologie avant la mise sous corticothérapie :

– traitement par alpha-méthyldopa,

– kyste de l’ovaire,

– leucémie lymphoïde chronique ou autre lymphopathie chronique souvent évidentes à l’examen clinique et à l’hémogramme (et qui représentent la seule justification à une ponction ou à une biopsie de moelle),

– lupus érythémateux disséminé conduisant à la recherche d’anticorps anti-noyaux.

 Il est négatif ; chercher une sphérocytose sur lame et demander une résistance globulaire osmotique dont la baisse permettra de porter le diagnostic de maladie de Minkowski-Chauffard.

 Il est négatif et il n’y a pas de critères de sphérocytose héréditaire : demander une électrophorèse de l‘hémoglobine, surtout chez les sujets originaires du bassin méditerranéen, d’Afrique ou d’Asie. (Une telle électrophorèse doit être demandée en fait systématiquement devant toute anémie dans de telles ethnies).

Si elle est normale, demander un dosage de la G6PD et de la pyruvate kinase. Une étude de l’enzymologie globulaire plus complète sera effectuée dans un laboratoire spécialisé si ces deux examens sont normaux.

b) Les urines sont très foncées :

C’est une hémolyse intravasculaire, à confirmer par le dosage de l’haptoglobine, effondrée.

Le malade est très fébrile : penser à une septicémie, notamment à perfringens, à un paludisme.

 Le malade est plus ou moins apyrétique ; rechercher une fragmentation globulaire (schizocytose) :

– associée à une thrombopénie, une défibrination, une érythromyélémie : elle évoque un cancer volumineux, ou avec métastases osseuses (à rechercher par biopsie médullaire),

– survenant chez un sujet porteur de prothèse valvulaire ou de valvulopathie complexe non opérée : c’est une hémolyse mécanique ; doser le fer sérique et compenser une éventuelle carence martiale,

– associée à une thrombopénie, une insuffisance rénale, des signes vasculaires ou neurologiques : évoquer un syndrome de Moschcowitz à confirmer si possible par biopsie rénale avant d’envisager des échanges plasmatiques,

– en l’absence de ces signes d’orientation, demander les tests d’hémolyse de Dacie et Crosby et le dosage de l’acétylcholinestérase globulaire à la recherche d’une maladie de Marchiafava-Micheli.

c) Il n’y a ni subictère, ni splénomégalie, ni urines foncées :

Penser à une hémorragie massive non extériorisée ou non reconnue :

– hémorragie digestive (recherches de sang dans les selles, fibroscopies),

– hémorragie utérine,

– hémorragie interne, abdominale ou pelvienne, généralement signalée par des malaises, une hypotension, des douleurs.

2) Le taux de réticulocytes n’est pas augmenté :

a) Le VGM ou la TCMH sont franchement abaissés :

⇒ c’est une anémie microcytaire hypochrome : rechercher une carence martiale par dosage du fer sérique (< 400 µg/l) et du CSTf (< 20 %).

Le dosage de la ferritine plasmatique n’est indiqué que dans les cas douteux, montrant une baisse franche dans les carences martiales.

La mise en évidence d’une anémie microcytaire sidéropénique, en dehors des cas d’étiologie évidente (nourrisson, malabsorption, vieillard dénutri) doit faire rechercher une hémorragie même minime mais prolongée :

– génitale (ménorragie organique ou fonctionnelle),

– ou digestive (hernie hiatale, ulcère gastrique, prises d’aspirine, cancer digestif, hémorroïdes).

En dehors donc des cas de ménométrorragies, elle conduit à la recherche répétée de sang dans les selles et aux examens radiologiques et endoscopiques.

b) Le VGM et la TCMH sont un peu abaissés ou normaux, le fer sérique modérément abaissé (400 à 600 µg/l), le CSTf n’est pas abaissé (30 à 40 %), la VS très accélérée :

⇒ c’est une anémie inflammatoire : la cause en peut être n’importe quelle infection traînante ou sévère, maladie inflammatoire ou cancéreuse.

Les indications d’examens sont les mêmes que devant une accélération de la VS.

En l’absence de cause évidente, penser notamment à un foyer infectieux ORL ou stomatologique, à un syndrome de Sjögren, à une maladie de Horton, à un cancer bronchique, digestif ou rénal.

c) Le VGM et la TCMH sont franchement augmentés :

En l’absence d’alcoolisme ou de cirrhose évidents, penser avant tout à :

– une anémie de Biermer,

– à une carence en vitamine B12 non biermérienne,

– à une carence folique.

Dans de tels cas on doit faire un dosage de vitamine B12 sérique et de folates sériques et érythrocytaires avant tout traitement.

Une ponction de moelle à la recherche de mégaloblastose peut être indiquée.

Devant une carence pure en vitamine B12, le diagnostic d’anémie de Biermer sera confirmé par recherche d’anticorps anti-estomac et anti-facteur intrinsèque, et par test de Schilling.

On recherchera une maladie thyroïdienne associée par recherche d’anticorps antithyroïdien, un cancer gastrique par fibroscopie.

d) Le VGM et la TCMH sont normaux :

⇒ c’est une anémie par insuffisance médullaire.

– Penser avant tout à une insuffisance rénale (dosage de créatinine), thyroïdienne (dosage de T3, T4, TSH), voire hypophysaire.

– Sinon étudier la moelle par ponction et/ou biopsie, à demander d’emblée lorsqu’il y a des anomalies leucocytaires ou plaquettaires associées.

Devant une pancytopénie sans autres signes cliniques à l’examen que ceux éventuellement en rapport avec l’anémie (asthénie), la leucopénie (infection), la thrombopénie (hémorragies), on évoquera en priorité une aplasie, une leucémie aiguë, une dysmyélopoïèse. Cependant l’examen de la moelle peut conduire à d’autres diagnostics : myélome, macroglobulinémie de Waldenström, leucémie à tricholeucocytes, cancer avec métastases médullaires.

Ce n’est que dans les cas d’aplasie ou de dysmyélopoïèse confirmée que l’on demandera des études scintigraphiques de la moelle, ainsi qu’une étude cinétique au Fer 59, examens effectués en milieu spécialisé et plus dans un but pronostique que diagnostique.

Mais surtout, devant une aplasie grave avec pancytopénie sévère, on dirigera le malade rapidement vers un service spécialisé afin que, après étude familiale des groupes tissulaires, on envisage une éventuelle greffe de moelle.

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