Il faut admettre, malgré les nombreuses théories classiques et les travaux récents, que l’histogénèse de l’endométriose est aujourd’hui toujours aussi incertaine. C’est pourtant là une clé majeure de la compréhension de cette affection, dont devrait normalement découler la prise en charge clinique.

1. Théories classiques :

1) Théories « métaplasiques » :

Ici on peut rappeler qu’aucune démonstration formelle n’a encore été apportée prouvant que l’épithélium péritonéal est capable, spontanément ou après induction, de donner lieu au développement de tissu endométriosique. La présence d’endomètre semble néanmoins nécessaire, même si quelques cas d’endométriose ont été rapportés chez des femmes présentant une aplasie müllérienne et même chez 3 hommes sous estrogénothérapie. Il faut aussi rappeler que la répartition non uniforme des localisations et l’absence d’augmentation de fréquence avec l’âge limitent aussi la portée de la théorie métaplasique.

Il a aussi été postulé que le reflux menstruel apporterait des substances qui induiraient la métaplasie, ce concept « d’induction » permettant d’intégrer ce phénomène.

2) Théories embryonnaires :

Ici on peut reprocher que la distribution des lésions ne correspond pas à celle, par exemple, des restes müllériens.

La fréquente association des poches péritonéales et de l’endométriose fait postuler que cette affection pourrait être due à une duplication rudimentaire du système mullérien durant l’embryogénèse.

3) Théories de transplantation :

Diverses voies ont été citées, expliquant ainsi diverses localisations : lymphatiques pour les localisations ganglionnaires pelviennes (29 % des femmes ayant une endométriose pelvienne présentent du tissu endométrial-like ou du stroma au niveau de leurs ganglions pelviens et ombilicaux), vasculaires pour les localisations pulmonaires, urinaires, cutanées ou au niveau de l’espace vertébral ; ces localisations sont cependant rares.

La dissémination iatrogène a également été reconnue très tôt par l’observation, non rare, d’endométriose au niveau de la cicatrice après diverses interventions gynécologiques ayant comporté une hystérotomie (par exemple césarienne) ou un curetage endo-utérin. La présence de lésions endométriosiques au niveau de la cicatrice d’épisiotomie est également une localisation classique. De nombreux travaux expérimentaux chez l’animal et chez la femme ont montré que les fragments d’endomètre étaient viables et pouvaient se développer si l’environnement hormonal était favorable.

L’extension directe rend compte des capacités invasives du tissu endométriosique, non seulement au niveau du myomètre (adénomyose ou endométriose interne), et des vaisseaux utérins, mais aussi de divers organes comme la vessie, les uretères ou divers segments du tractus digestif.

Le transport tubaire de cellules endométriales viables dans le liquide péritonéal et leur greffe secondaire représente très probablement le mécanisme en cause dans la majorité des localisations pelviennes de l’endométriose ; c’est pourquoi cette théorie sera davantage développée ultérieurement.

Le principal reproche fait à ce dernier groupe de théories est l’observation d’exceptionnels cas d’endométriose chez des sujets sans utérus ni tissu endométrial.

2. Transport par reflux tubaire puis greffe secondaire :

Comme nous venons de le signaler, c’est le mécanisme très probable par lequel la majorité des localisations pelviennes sont expliquées; de nombreux arguments en faveur de cette théorie sont fournis par des études expérimentales, épidémiologiques et cliniques.

1) Liquide menstruel :

Le liquide menstruel contient des cellules endométriales viables, aptes à se développer en culture. Ces cellules endométriales sont capables expérimentalement de s’implanter, de se développer et de répondre aux stimuli hormonaux, dans la chambre antérieure de l’œil, dans le tissu graisseux ou sur le péritoine ; ni les estrogènes, ni la progestérone ne sont nécessaires pour l’implantation et la croissance initiale des cellules endométriales. 

2) Reflux menstruel :

Le reflux menstruel est un phénomène fréquent observé chez près de 90 % des femmes, dont les trompes sont perméables, chez lesquelles est effectuée une cœlioscopie ou une dialyse en période menstruelle. Des cellules endométriales ont d’ailleurs été retrouvées dans le liquide de lavage tubaire dans 92 % des cas, chez des femmes hypofertiles ayant une ovulation correcte et des trompes perméables. 

3) Liquide péritonéal :

Le liquide péritonéal contient des cellules endométriales et des fragments de tissu endométrial viables, et ce d’autant plus que les trompes sont perméables. En cas d’endométriose, des fragments de tissu endométrial sont retrouvés dans 76 % des liquides péritonéaux, mais seulement dans 46 % des cas en l’absence d’endométriose. 

4) Substances :

Le liquide péritonéal contient diverses substances (facteurs de croissance, facteurs angiogéniques…) favorisant l’adhésion, la greffe et le développement des implants endométriosiques, déjouant ainsi chez certaines patientes les moyens de défense naturels qui devraient normalement empêcher cette greffe. 

5) Distribution anatomique :

La distribution anatomique des lésions endométriosiques dans le pelvis correspond aux structures, qui baignent dans le liquide péritonéal compte-tenu de la position de l’utérus et de leur mobilité, et aux régions voisines du pavillon tubaire qui déverse le reflux menstruel. Une étude portant sur 182 femmes explorées par cœlioscopie , montre que la fréquence de chaque localisation des implants vient corroborer cette assertion; les organes ou les structures proches des pavillons, ou qui sont exposés au liquide péritonéal, sont plus fréquemment impliqués contrairement aux structures plus mobiles. Bien évidemment, les capacités « réceptives » du tissu (le péritoine et la surface ovarienne s’avérant plus favorables) jouent probablement aussi un rôle. 

6) Données épidémiologiques :

Des données épidémiologiques récentes montrent bien les relations entre les caractéristiques du cycle menstruel et la fréquence de l’endométriose.

De nombreux arguments viennent donc soutenir cette théorie ; pourtant on comprend mal dès lors pourquoi l’endométriose n’est pas plus fréquente ? Des facteurs favorisants ou « étiologiques » semblent donc devoir intervenir.

3. Facteurs étiologiques :

Regroupés en deux catégories : 

1) Reflux menstruel :

Un reflux menstruel accru semble être un facteur favorisant : plus il y a de cellules endométriales viables présentes dans le liquide péritonéal, plus le risque d’endométriose augmente, comme si les mécanismes de défense présentaient un seuil au-delà duquel la greffe d’implants endométriosiques devenait inéluctable.

Le reflux menstruel est un phénomène fréquent ; il est aussi étonnant de constater que chez les femmes, dont les trompes sont obstruées, un liquide péritonéal hématique est noté chez 15 % d’entre elles. Dans une autre étude, un reflux menstruel a été constaté chez 31 des 32 femmes présentant une endométriose.

Trois facteurs au moins interviennent de manière notable : 

a) « Permissivité » tubaire :

Normalement la jonction utéro-tubaire joue un rôle pour limiter le reflux tubaire, mais on connaît mal son rôle physiologique à cet égard. Un synchronisme fonctionnel entre les pressions au niveau cervical et au niveau de la jonction utéro-tubaire lors des menstruations peut favoriser le reflux menstruel. Une hypotonie relative de la jonction utéro-tubaire a été mesurée chez les femmes présentant une endométriose ; le rôle des prostaglandines, particulièrement étudié en cas de dysménorrhée, n’a pas été évalué à ce niveau.

La rétroversion utérine semble aussi favoriser le reflux menstruel, pourtant l’association de cette malposition utérine et de l’endométriose n’a pas été démontrée.

Enfin après implantation ampullo-utérine, il était courant d’observer un important reflux menstruel avec éventuellement des lésions endométriosiques pelviennes. 

b) Obstacles à l’écoulement du flux menstruel :

La littérature fournit de nombreuses données montrant que l’endométriose est associée à diverses malformations vaginales ou utérines. Une endométriose a été retrouvée chez 77 % des patientes présentant une malformation obstructive contre 37 % dans le groupe témoin.

Les malformations expliquent certaines endométrioses observées chez les adolescentes.

Les sténoses cervicales, secondaires à une coagulation exagérée du col, pourraient jouer aussi un rôle favorisant, mais aucune étude prospective n’a cherché à démontrer ce point.  

c) Caractéristiques du flux menstruel :

Toute augmentation du flux menstruel doit logiquement être associée à une plus grande fréquence de l’endométriose. Une étude épidémiologique contrôlée a bien mis en évidence le rôle des caractéristiques du cycle menstruel, même si pour cette étude (mais c’est là l’une des difficultés liées à cette affection), la composition du groupe témoin peut être critiquée. Pour éliminer certains biais, une analyse multivariante a été réalisée. Elle montre le rôle favorisant de la survenue précoce des premières règles, des cycles courts de moins de 27 jours, d’une durée du flux menstruel supérieure à 8 jours et de règles douloureuses.

La pratique intensive d’un exercice physique ou un tabagisme marqué (situations de relative hypoestrogénie) semblent au contraire réduire le risque d’endométriose. 

2) Greffe facilitée :

La greffe est facilitée par différents facteurs. Les mécanismes rappelés précédemment ne permettent pas cependant d’expliquer la réalité de l’endométriose. Par exemple, le reflux menstruel, si fréquemment observé, n’est pas obligatoirement associé à une endométriose ; face à la présence de fragments endométriaux dans leur liquide péritonéal toutes les femmes n’ont pas une malchance égale de développer des lésions endométriosiques. Diverses conditions favorisantes ont donc été proposées, d’une incidence relativement anecdotique, et aujourd’hui, aucune réponse scientifique définitive n’a encore été apportée, expliquant les controverses dont elles font l’objet. 

a) Facteurs hormonaux :

Si l’hormono-dépendance des lésions endométriosiques pour leur maintien et leur croissance est admise, il a été rappelé précédemment que les stéroïdes n’étaient pas indispensables pour leur initiation. Par contre, le contenu du liquide péritonéal en stéroïdes pourrait jouer un rôle dans la survenue de l’endométriose. Le syndrome de lutéinisation folliculaire sans rupture (LUF syndrome) a été considéré comme un facteur favorable ; en effet, en cas de LUF syndrome, les concentrations en estradiol et surtout en progestérone sont abaissées ; mais la prévalence de l’endométriose en cas de LUF syndrome et les concentrations en stéroïdes dans le liquide péritonéal ont fait l’objet de nombreuses données contradictoires ; chez le primate, il semble que ce soit l’endométriose qui favorise la survenue du LUF syndrome et non le contraire ; enfin le rôle protecteur supposé de la progestérone n’a pas été démontré. 

b) Facteurs familiaux et génétiques :

Sur la base de cas cliniques ou d’études non contrôlées, une tendance familiale et probablement génétique a été suspectée.
Une étude portant sur 123 femmes présentant une endométriose, a permis de calculer que les parentes au premier degré d’une femme ayant une endométriose avaient un risque de 7 % de développer cette affection, qui avait, par ailleurs, tendance à être plus sévère.

Le risque n’est plus que de 2 % en cas de parenté du 2ème degré.

Le mode de transmission semble être de nature polygénique ou multifactorielle.

c) Facteurs immunologiques :

Pour comprendre pourquoi seules certaines femmes développaient une endométriose en cas de reflux menstruel, des études ont cherché à mettre en évidence une déficience de leur système immunitaire ; leurs résultats sont cependant encore contradictoires.

L’une d’entre elles a postulé que les femmes présentant une endométriose avaient une déficience de leur immunité cellulaire. Ce même auteur a montré que chez le singe rhésus porteur d’endométriose spontanée, on observe une altération de la réponse immunitaire cellulaire aux antigènes endométriaux autologues ; il n’est cependant pas certain que cette déficience de l’immunité cellulaire soit antérieure au développement de l’endométriose, elle peut aussi en être la conséquence. 

On discerne mieux les deux niveaux des éventuelles altérations immunologiques : le niveau systémique, où les perturbations ne sont pas très marquées et parfois controversés, et le niveau local où les modifications ont été plus nettement mises en évidence, en particulier par les nombreux travaux sur le liquide péritonéal.

De plus en plus de faits suggèrent donc qu’il existe des altérations du système immunitaire, tant humoral que cellulaire, chez les femmes ayant une endométriose et que la survenue des lésions est facilitée par cette éventuelle déficience ; des progrès dans ce domaine permettront de mieux comprendre cette affection et peut-être de mettre au point de nouvelles modalités diagnostiques et thérapeutiques.

4. Greffe des cellules endométriales :

La réceptivité du tissu « d’accueil » est variable selon, entre autres, certaines caractéristiques propres, sa vascularisation, le climat hormonal local. Ainsi le péritoine apparaît plus propice à la greffe de cellules endométriales que par exemple l’épithélium vaginal, l’ovaire et la fossette ovarienne qui sont des sites privilégiés comme l’observation clinique le démontre en raison des concentrations hormonales plus importantes.

On comprend mieux aussi les mécanismes intimes initiaux de l’implantation des cellules endométriales, retrouvant des grands principes de la biologie cellulaire ; ainsi l’adhérence des cellules endométriales aux cellules mésothéliales du péritoine survient en moins de 24 heures et est facilitée par le TNF-alpha libéré par les macrophages.  

Points clés

Les mécanismes histogéniques qui participent à la constitution de lésions endométriosiques sont multiples et encore incertains.
Le reflux menstruel de débris endométriaux et leur implantation secondaire au niveau du pelvis est probablement le principal mécanisme mis en cause pour ces localisations. De nombreux faits expérimentaux, épidémiologiques et cliniques soutiennent cette théorie.

Des facteurs favorisants sont aussi impliqués ; il s’agit principalement de l’importance du reflux menstruel, des facteurs héréditaires et des déficiences du système immunitaire de défense.

Les mécanismes intimes initiaux de la greffe des cellules endométriales sont également mieux connus, mettant en jeu l’adhérence cellulaire (facilitée par le TNF-alpha).

On comprend ainsi que toutes les femmes, malgré la présence fréquente de cellules endométriales au sein du liquide péritonéal, n’ont pas un risque égal de développer une endométriose.

Noter cette page

Laisser un commentaire