1. Définition :
Les tréponématoses non syphilitiques ou tréponématoses endémiques sont des infections bactériennes dues à 3 variétés de tréponèmes (différents de Treponema pallidum) dont la transmission interhumaine est directe ou indirecte. Il s’agit d’affections cutanées appelées pian, bejel et pinta.
On les rencontre essentiellement dans les régions tropicales. Elles sont transmises par contact cutané avec des personnes infectées.
Elles peuvent provoquer des ulcérations délabrantes, des atteintes osseuses ou d’autres tissus ayant été décrites.
Ces 3 tréponématoses endémiques donnent une sérologie syphilitique positive (TPHA-VDRL) mais cet examen n’est pas nécessaire au diagnostic qui reste avant tout clinique.
Il n’existe pas d’examen de laboratoire qui puisse distinguer les différentes tréponématoses.
Le traitement par la benzathine pénicilline G est efficace et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a mis en place de vastes campagnes de traitement dans les zones d’endémie.
2. Etiologie :
C’est une sous-espèce de Treponema pallidum, T. pertenue, qui est responsable du pian.
La pinta est causée par T. carateum ; la sous-espèce endemicum de T. pallidum étant responsable de la syphilis endémique.
Les sous-espèces de T. Pallidums responsables des tréponématoses non syphilitiques sont très voisines de la sous-espèce pallidum de T. pallidum qui est responsable de la syphilis ; il existe entre elles un haut degré d’homologie au niveau de l’ADN, et elles ont en commun des antigènes pathogènes.
Comme T. pallidum, ces tréponèmes sont des spirochètes à structure hélicoïdale, d’environ 0,2 µ de diamètre et 10 µ de longueur. Ils sont visibles au microscope à fond noir mais ne peuvent pas être cultivés in vitro de façon durable.
3. Epidémiologie :
– Le pian se rencontre dans les zones rurales d’Afrique tropicale, d’Amérique latine, d’Asie du Sud-Est et d’Océanie.
L’incidence est forte, surtout chez les enfants entre 2 et 5 ans.
– La syphilis endémique sévit en Afrique, au Proche-Orient, dans la péninsule arabe, en Asie centrale et en Australie.
La prévalence est plus forte dans les régions arides.
– La pinta survient dans les zones rurales d’Amérique centrale et du Sud. Elle concerne essentiellement les enfants les plus âgés et les adolescents.
L’homme est le seul vecteur connu des tréponématoses non syphilitiques. Le spirochète pénètre à travers la peau si celle-ci est lésée, par exemple à la suite d’un grattage ou d’une piqûre d’insecte. On estime que la transmission se produit par contact cutané, soit de façon directe, soit de façon indirecte par les mains, et est favorisée par de mauvaises conditions d’hygiène et par la promiscuité.
4. Manifestations cliniques :
– Le pian provoque une papule cutanée au point d’inoculation après une incubation de 3 à 4 semaines. Les localisations les plus fréquentes sont au niveau des jambes et des fesses. La papule s’élargit, s’ulcère, et évolue vers une lésion croûteuse et suintante dans laquelle les tréponèmes peuvent être isolés. Une adénopathie régionale peut accompagner la papule qui cicatrisera spontanément en 6 mois. Secondairement, une éruption cutanée papuleuse généralisée va survenir avant ou après la cicatrisation de la lésion initiale, ces papules étant souvent recouvertes de croûtes brunes. On peut observer des lésions récidivantes. Des papillomes peuvent en résulter, et une hyperkératose plantaire peut être observée.
Une périostite des os longs tend à les fragiliser, et il peut y avoir de la fièvre. Des rechutes peuvent survenir pendant plusieurs années, entraînant des ulcérations chroniques et des lésions destructrices (gommes) qui affectent la peau ou les os.
– La syphilis endémique se manifeste par des lésions muqueuses au niveau de la cavité buccale et du pharynx, et peut provoquer des lésions papuleuses et fissurées à la jonction cutanéo-muqueuse des commissures labiales. Les régions anales, génitales, et les autres plis cutanés peuvent être le siège de lésions évoquant une syphilis secondaire. Des adénopathies régionales sont habituelles, mais les éruptions généralisées sont rares. La guérison de ces lésions précoces est suivie par une période de latence se traduisant par une séropositivité, ou par des lésions tardives évoquant une syphilis tertiaire : ulcères cutanés nodulaires, déformations osseuses et gommes pouvant perforer le palais.
– La pinta débute de façon identique par une papule avec adénopathie régionale, qui est suivie par une éruption maculopapuleuse généralisée. Un à 3 ans après la disparition des lésions initiales, de larges macules hyperpigmentées brunes ou bleues se développent, puis perdent leur pigmentation pour devenir blanches. Les différents stades de pigmentation de ces lésions ayant des durées variables, un même patient peut présenter à la fois des zones hyperpigmentées et dépigmentées.
5. Diagnostic :
Au microscope électronique, on peut observer directement les spirochètes isolés sur les lésions cutanées. On peut aussi les mettre en évidence sur des ponctions de ganglions lymphatiques.
Il n’y a aucun test spécifique pour les tréponématoses non syphilitiques au cours desquelles on observe des réactions sérologiques croisées avec la syphilis.
Les tests VDRL et FTA sont positifs si le sérum est prélevé au moins 2 semaines après l’apparition des lésions initiales.
6. Traitement :
1) Pian :
– azithromycine PO :
Enfant et adulte : 30 mg/kg dose unique (maximum 2 g),
ou, défaut,
– benzathine benzylpénicilline IM :
Enfant de moins de 10 ans : 1,2 MUI dose unique.
Enfant de 10 ans et plus et adulte : 2,4 MUI dose unique.
2) Pinta et bejel :
– benzathine benzylpénicilline IM :
Comme pour le pian.
En cas d’allergie à la pénicilline :
– doxycycline PO (sauf chez la femme enceinte ou allaitante et l’enfant de moins de 8 ans).
Enfant de plus de 8 ans : 50 mg 2 fois par jour pendant 14 jours.
Adulte : 100 mg 2 fois par jour pendant 14 jours.
Remarques :
. L’antibiothérapie guérit les accidents récents et peut soulager les douleurs des ostéites. Elle peut être insuffisante en cas de lésions tardives.
. La sérologie syphilitique reste positive malgré la guérison clinique.
3) Sujets contacts et latents :
Tous les sujets contacts, qu’ils soient symptomatiques ou non, et les cas latents (sujets asymptomatiques ayant une sérologie syphilitique positive) en zone endémique doivent recevoir le même traitement que les cas.
7. Prévention :
La prévalence de ces maladies a été réduite dans de nombreuses régions du monde, grâce à des campagnes de traitement des populations par la pénicilline.
L’OMS a ainsi traité environ 53 millions de cas de pian et 350.000 cas de pinta avec de bons résultats.
Cependant, ces campagnes ne sont pas suffisantes pour éradiquer la maladie, et la prévalence du pian pourrait avoir augmenté ces dernières années.
On pense qu’une réduction de la transmission nécessiterait une amélioration des conditions sanitaires et économiques des personnes vivant en zone d’endémie.
Nb : autres spirochètes :
– fièvre récurrente (spirochètes du genre Borrelia) : c’est une infection bactérienne due à un spirochète du genre Borrelia. Il existe deux modes de transmission : fièvre récurrente cosmopolite transmise par les poux et fièvre récurrente endémique transmise par les tiques.
– maladie de Lyme (Borrelia burgdorferi) : elle est causée par un spirochète : Borrelia burgdorferi, qui est transmis par des tiques et est responsable de phénomènes de type inflammatoire.
– Leptospiroses (leptospira) : c’est une infection à spirochète due à une bactérie du genre Leptospira.
Tréponématoses non syphilitiques : signes cliniques (compléments)
| Pian | Pinta | Bejel |
---|---|---|---|
Agent pathogène | Treponema pertenue | Treponema carateum | Treponema pallidum variété M |
Répartition géographique | Régions forestières chaudes et humides | Zone tropicale d’Amérique Latine | Régions sèches, semi-désertiques du Moyen-Orient et de l’Afrique |
Population | Enfants entre 4 et 14 ans | Enfants et adultes | Populations nomades, enfants en particulier |
Accidents primaires | Chancre pianique : ulcération de couleur chair, non indurée, prurigineuse, sur les membres inférieurs dans 95% des cas, avec adénopathie satellite. Cicatrisation spontanée ou développement d’un volumineux pianome entouré de pianomes plus petits. | Plaque érythémato-squameuse, annulaire en zone découverte (face, extrémités) ressemblant à une dermatophytie. Disparaît spontanément en laissant une cicatrice. | Chancre discret : plaque papuleuse localisée le plus souvent sur les muqueuses ou les plis de flexion avec adénopathie satellite. |
Accidents secondaires | Débutent 3 semaines après le chancre, évoluent par poussées et guérissent spontanément : • Pianomes cutanés ou muqueux (lésions papillo-mateuses, végétantes, très contagieuses) • Pianides isolées ou associées aux pianomes (lésions papuleuses, squameuses, annulaires, peu contagieuses) • Ostéopériostites des os longs (phalanges, os propres du nez, tibias) | Pintides : tâches foncées bleuâtres et tâches claires rosées ou blanches, sur tout le corps. | • Plaques muqueuses buccales fréquentes : ulcérations très contagieuses, arrondies, indurées, recouvertes d’un enduit blanchâtre, saignant facilement, localisées (face interne des lèvres, joue, langue, commissure labiale) • Plaques muqueuses ano-génitales (rares) • Lésions cutanées rares, d’aspect végétant, localisées aux plis • Accidents osseux précoces identiques au pian, localisés aux jambes et avant-bras |
Accidents tertiaires | Après quelques années de latence : • Périostites, ostéites douloureuses et invalidantes • Rhinopharyngite ulcéreuse et mutilante • Nodosités extra-articulaires | Tâches blanches symétriques sur les membres, définitives même après traitement. | Après quelques années de latence : • Gommes des parties molles et des os longs • Syphilides cutanées superficielles • Nodosités juxta-articulaires • Tâches hypo et hyperpigmentées comme pour le pinta |